Comment la Russie essaye d'influencer les élections
13 septembre 2024Depuis la semaine dernière, une entreprise basée dans l'Etat du Tennessee est dans le collimateur des autorités américaines. Elle aurait reçu dix millions de dollars de la chaîne russe Russia Today pour créer et distribuer des vidéos, en amont de la présidentielle américaine dans le but de peser sur son résultat.
Selon l'acte d'accusation, ces vidéos, qui auraient été produites par deux collaborateurs de Russia Today, vont souvent dans le sens de "l'intérêt du gouvernement russe à renforcer les divisions au sein des Etats-Unis".
Si la Russie rejette régulièrement toute accusation d'ingérence électorale, Julia Smirnova a un autre avis sur la question. Elle travaille au Centre de surveillance, d'analyse et de stratégie, un institut basé à Berlin et qui mène des recherches sur la désinformation et les idéologies du complot sur Internet : "La Russie tente depuis des années d'influencer les élections dans les pays démocratiques, comme l'élection présidentielle américaine de 2016 ou l'élection présidentielle française de 2017".
Ingérence à l'échelle mondiale
Dès octobre 2023, les Etats-Unis ont envoyé un rapport de renseignements à 100 pays amis dans le monde, selon lequel la Russie utiliserait activement "les espions, les réseaux sociaux et les médias d'Etat" pour saper la confiance du public dans l'intégrité des élections démocratiques dans le monde.
Selon ce rapport, entre 2020 et 2022, cela se serait produit dans au moins neuf pays non spécifiés, et il y aurait également eu "un niveau moins prononcé" d'activités russes sur les médias sociaux dans 17 autres pays. Des tentatives d'influence russe ont également été signalées lors des élections européennes de juin 2024.
"Diverses méthodes sont utilisées à cet effet" explique Julia Smirnova. "Par exemple des attaques de pirates informatiques, au cours desquelles des documents internes de politiciens sont publiés, authentiques ou partiellement mélangés à des écrits falsifiés, comme, par exemple, lors des élections en France en 2017. Ce que la Russie utilise également, c'est la manipulation de l'opinion publique via les médias sociaux à l'aide de comptes non authentiques et via des canaux ouverts comme Russia Today".
Déstabiliser la démocratie
Selon la chercheuse, l'objectif de l'ingérence russe va désormais au-delà de la seule diffusion et du renforcement des positions prorusses, comme dans le cas de la guerre en Ukraine : "l'objectif principal est de promouvoir les intérêts géopolitiques de la Russie. Et de déstabiliser les pays que le Kremlin perçoit comme des adversaires de la Russie".
Pour atteindre cet objectif, la Russie se charge aussi d'armer financièrement et intellectuellement les partis situés aux marges de l'échiquier politique. Déjà, en 2022, le Washington Post rapportait qu'au moins 300 millions de dollars américains avaient été versés à des partis particulièrement favorables à la Russie dans le monde entier, y compris dans des Etats plus petits comme l'Albanie, le Monténégro, Madagascar ou encore l'Equateur.
Selon les services de renseignement américains, des forces liées au Kremlin ont également utilisé des sociétés-écrans, des groupes de réflexion et d'autres moyens pour influencer les événements politiques, souvent en faveur de groupes d'extrême droite, notamment en Allemagne.
Pour finir, il faut dire que les démocraties ne sont pas totalement sans défense face à cette situation. Les Etats-Unis l'ont montré la semaine dernière en dévoilant toute une série de mesures, dont des poursuites pénales et des sanctions, pour répondre aux tentatives d'ingérence électorale. Mais pour que la lutte soit efficace, sur le long terme, la chercheuse recommande aussi de mettre en place des programmes d'éducation visant à accroître les compétences des jeunes et des adultes en la matière.
Auteur : Thomas Latschan | Adaptation : Konstanze Fischer