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Au Rwanda, anciens bourreaux et victimes cohabitent

19 avril 2024

30 ans après le génocide, le pays est devenu un exemple de réconciliation entre anciens bourreaux et victimes.

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Des ex-bourreaux et leurs victimes vivant ensemble à Mbyo, le village dit de réconciliation au Rwanda.
Au moins 800.000 personnes, essentiellement des Tutsis mais aussi des Hutus modérés, ont été tuées durant les trois mois de massacres. Aujourd'hui, des ex-bourreaux et leurs victimes vivent ensemble à Mbyo, le village dit de réconciliation.Image : Isaac Mugabi/DW

Lorsque le génocide contre les tutsis a commencé en 1994, Frederick Kazimungu et Tharcien Nkundiye, tous deux hutus, ont activement participé au massacre de leurs voisins tutsis, avec lesquels ils vivaient en paix depuis de nombreuses années.

Nous étions en avril 1994. Mais désormais, les deux hommes, âgés aujourd’hui respectivement de 56 et 74 ans, cohabitent avec les survivants du génocide.

Les villages dits de réconciliation

Frederick et Tharcien, ont été reconnus coupables et condamnés à de lourdes peines de prison, mais après avoir demandé officiellement pardon, ils ont été libérés au bout de neuf ans.

Les deux hommes vivent désormais à Mbyo, un village situé à 40 kilomètres de la capitale, Kigali. C'est l'un des six villages dits de réconciliation où ex-bourreaux et survivants du génocide vivent ensemble.

Au moins 400 personnes, hutus et tutsis, habitent dans ce village qui est à l’image d’autres villages ordinaires au Rwanda, avec des maisons aux toits de tôle situées sur de petites parcelles adjacentes aux terres agricoles.

L’ancien groupe rebelle du président Paul Kagame, le Front patriotique rwandais, dirigé par les tutsis, a pris en 1994 le pouvoir après 100 jours de massacre, et il dirige depuis le Rwanda sans partage.

Commémoration des 30 ans du génocide rwandais.
A Kigali le 7 avril, près de 5000 personnes ainsi que des personnalités de haut niveau se sont rassemblés afin de commémorer le 30e anniversaire du début du génocide. Image : Jean Bizimana/REUTERS

Des témoignages émouvants

"J'ai plaidé coupable et demandé pardon aux survivants, dont j'ai tué les membres de la famille, et maintenant nous vivons en paix. Nous ne nous identifions plus selon des critères ethniques", explique Tharcien.

Tharcien dit que "personne ne m'a forcé à me réconcilier. Ceux qui vivent hors du Rwanda et qui pensent que nous avons été forcés, veulent ternir l'image du Rwanda."

Il explique qu’"en prison, j'ai envoyé une lettre à Anastasie, détaillant comment j'ai tué les membres de sa famille et en lui demandant pardon", poursuit-il, précisant que "les auteurs qui ont refusé jusqu'à présent d'admettre leur rôle dans le génocide devraient l’avouer, et peut-être qu’ils pourraient être libérés."

Comme Tharcien, Frederick, aujourd'hui père de sept enfants, a demandé aussi pardon et a été libéré de prison. Cependant, il reproche à l'ancien gouvernement d'avoir poussé des civils comme lui à tuer leurs voisins tutsis.

"Depuis l'enfance, on nous disait que les tutsis étaient nos ennemis et qu'ils colonisaient les hutus depuis longtemps. Alors, lorsque les massacres ont commencé, nous avons dû tuer les tutsis", explique-t-il.

Des photos des victimes du génocide rwandais de 1994
Le Rwanda a commémoré les 30 ans du génocide des tutsi. Le devoir de mémoire semble toujours au centre d’une politique d’union nationale. Image : Ben Curtis/AP Photo/picture alliance

Une difficile cohabitation

Silas Usengimuremyi et Anastasie Mukamusoni – survivants du génocide et voisins des deux hommes qui ont tué des membres de leur famille – affirment qu'ils se sont réconciliés avec les auteurs du génocide grâce aux efforts du gouvernement.

Anastasie se souvient des tutsis impuissants face aux hutus qu'elle avait vus à un barrage routier, près du village de Mbyo. En 1994, elle avait 20 ans.

Tharcien a tué le premier mari d'Anastasie, mais maintenant ils sont voisins et s'entraident en cas de besoin. "Quand j'ai besoin d'aide, Tharcien est toujours disponible", déclare Anastasie.

"Je détestais tellement les hutus que je ne pouvais pas accepter de les rencontrer", précise-t-elle, ajoutant qu'il lui a fallu beaucoup de temps "pour penser que je pouvais interagir avec un hutu".

Au début, Anastasie n'appréciait pas l'idée que les auteurs de ces crimes retournent dans leur communauté. Mais maintenant, elle doit vivre avec eux dans le même village de réconciliation de Mbyo, que certains Rwandais citent comme exemple en matière de vivre-ensemble, 30 ans après le génocide.

Comme Anastasie, Silas confirme qu'au début, il était difficile de pardonner aux auteurs de l’assassinat de son père et d'autres membres de sa famille, pendant le génocide.