Ces enfants nés des relations avec des casques bleus en RDC
26 octobre 2023Dans l’est de la République démocratique du Congo, Mavivi, une localité située au nord de la ville de Beni, accueille le quartier général de la Monusco.
De nombreuses femmes, pour survivre, ont choisi de profiter de la présence des Casques bleus pour se prostituer.
Or, récemment, huit Casques bleus ont été arrêtés pour violences sexuelles dans cette ville de 23.000 habitants.
De nombreuses filles sans emploi viennent des villes voisines pour se livrer aux militaires.
Des maisons closes et des bars de fortune sont ainsi apparus à côté de la base de la Monusco à Mavivi.
Se prostituer pour trouver "de quoi vivre"
Grâce, une déplacée interne venue de Lwemba, en province de l’Ituri, dans l’est du pays, vit désormais dans une maison de tolérance au centre de Mavivi, à proximité de la base de la Monusco.
Avec six autres filles qui viennent de Butembo, de Goma et même de Bukavu, dans le Sud-Kivu, elles survivent grâce à la prostitution et leurs clients sont les Casques bleus de la Monusco.
"Ma mère a été tuée durans la guerre à Lwemba, moi j'ai fui à Beni. Mon père est porté disparu jusqu’à présent. Je n’avais plus personne pour m’aider, une amie m’a dit que je pourrais mieux vivre ici à Mavivi. Les Casques bleus tanzaniens arrivent souvent ici l’après-midi, ils nous donnent de l’argent en contrepartie du sexe" raconte Grâce qui explique être sans emploi avec un enfant à charge.
Selon la jeune femme c'est "pour trouver de quoi vivre" qu'elle est à Mavivi.
Esther est arrivée il y a six mois. Comme Grâce, elle a aussi fui les violences. Elle arrive du territoire de Rutshuru, plus au Sud, une zone encore occupée en partie par les rebelles du M23.
A 16 ans, elle devrait être encore à l’école mais les affrontements dans sa région ne lui ont pas laissé le choix.
Elle explique qu'elle vient précisémment de Kibirizi et que pendant la guerre, elle a perdu tout contact avec ses parents.
"Cette amie-là m’a amené ici à Mavivi. Nous vivons de la prostitution, mais ce n’est pas une bonne vie. C’est la guerre qui a créé ça, je devrais maintenant être à l’école" déplore la jeune fille.
A quelques mètres de cette maison close vit Noëlla avec ses parents. Il y a sept ans, elle a eu un enfant avec un casque bleu du contingent tanzanien. Mais il l’a abandonnée et n’a plus donné de ses nouvelles, regrette Noëlla.
"Au début, il m’a aimée et m’a même loué une maison au centre. Pendant une année, j’ai vécu avec lui. Quand je suis tombée enceinte, il a pris en charge les frais de maternité et après, il m’a dit qu’il rentrait chez lui et qu’à son arrivée, il va m’envoyer de l’argent pour le bébé" raconte Noëlla.
Mais depuis, elle n'a plus de nouvelles. Sa situation est d'autant plus difficile que son enfant tombe souvent malade.
"Pour soulager ma souffrance, j’ai été obligé de trouver un casque bleu, pensant qu’il pourrait sauver ma famille. Je souffre maintenant, je regrette énormément et je ne sais pas ce que je dirai à l’enfant quand il cherchera à savoir qui et où est son père " explique Noëlla.
Le cas des "enfants Monusco"
Les enfants nés des relations avec des casques bleus sont nombreux dans le village de Mavivi.
Eugenie Kavugho travaille depuis sept ans à enregistrer l’existence de ces enfants. Mais aussi les cas d’abus sexuels commis par les Casques bleus.
En 2016, elle et la Monusco ont mis en place un mécanisme pour la localisation des plaintes et des alertes à Mavivi.
"Les filles viennent elles-mêmes pour dénoncer quand elles ont des grossesses avec les hommes de ces contingents. Nous, on est là, on alerte au niveau de la section Conduite et discipline de la Monusco. Nous surveillons ce qui se passe dans la communauté, surtout les Casques bleus qui commettent des abus et des cas d’exploitation sexuelle", précise Eugenie Kavugho.
Elle explique par ailleurs travailler pour aider la communauté,"parce qu’on a constaté que tant que la Monusco sera là, on aura des "enfants Monusco" qui vont rester dans notre communauté. C’est pourquoi nous nous sommes engagées à faire ce travail. Notre vision est que nous puissions avoir zéro cas d’ "enfants Monusco" et zéro cas de femmes exploitées sexuellement."
Les violences sexuelles contre les femmes sont un fléau dans l’est de la RDC. Dans un communiqué de presse du 11 octobre dernier, la Monusco a condamné des comportements qui ne sont pas dignes du personnel des Nations unies.
Elle a assuré avoir pris des mesures à l’encontre des soldats onusiens arrêtés. Huit Casques bleus du contingent sud-africain ont ainsi été rapatriés pour faute grave. Mais sur place, la prostitution des filles se poursuit.