"En dernier lieu, c'est aux Maliens de décider"
15 septembre 2021Le gouvernement allemand est préoccupé par l'annonce d'une éventuelle coopération militaire de la junte au pouvoir au Mali avec des mercenaires de la société privée de sécurité russe Wagner.
Les autorités maliennes ont confirmé être en discussion avec la Russie mais elles n'ont pas détaillé la teneur de ces pourparlers.
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"Si la coopération du Mali avec des groupes de mercenaires russes est confirmée, cela remet en cause les fondements du mandat de la Bundeswehr au sein de la Minusma et de l'EUTM et nous devrons en tirer les conséquences avec le Bundestag". La ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU) a été claire, ce mercredi.
Près de 1200 soldats allemands sont actuellement déployés au sein de ces missions sous l'égide de l'Onu (Minusma) et de l'Union européenne (EUTM-Mali).
Ce ton rejoint celui des responsables français, quelques heures auparavant. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian estime que la coopération du Mali avec le groupe Wagner serait "incompatible" avec la mission de l'armée française dans le pays.
Ce qu'en dit la Russie
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov assure à l'agence d'Etat Tass qu'il n'y a au Mali "aucun représentant de l'armée russe". Et il affirme que la Russie ne mène aucune négociation avec la junte malienne. Il reconnaît toutefois des "contacts" avec le Mali et d'autres Etats africains, y compris dans le domaine militaire. Quant au groupe Wagner, dont des éléments seraient déjà présents sur le continent africain en Libye, au Mozambique et en RCA, le porte-parole explique qu'"il existe des entreprises de sécurité privées, mais, en vertu du droit russe, pas d'entreprises militaires privées."
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Une porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères a reconnu ce matin que le ministère avait "connaissance de discussions entre les Russes et le gouvernement malien et [pris connaissance] des informations récemment publiées sur une possible coopération militaire bilatérale.
Thomas Schiller, directeur du programme Sahel de la Fondation Konrad Adenauer à Bamako, pense pour sa part que la question la plus importante est la stabilité de l'Etat malien et de ce point de vue, il doute que la Russie puisse améliorer les choses en s'ajoutant aux nombreux acteurs déjà sur le terrain. Mais il rappelle aussi que, plus généralement, c'est aux Etats africains de décider avec qui ils souhaitent coopérer.
Ci-dessous, une retranscription de l'entretien de Sandrine Blanchard avec Thomas Schiller, enregistré avant les réactions officielles des responsables allemands.
Interview de Thomas Schiller
Thomas Schiller : Depuis longtemps, il y a des rumeurs à propos d'un engagement plus important de la part de la Russie ici au Mali, notamment dans le domaine de la sécurité et de la formation des forces armées, éventuellement les livraisons d'armes ou autres. Le problème, c'est que ça n'a jamais été vérifié et ça n'a jamais été prouvé. Pour moi, la question est plutôt : pourquoi ça circule actuellement, pourquoi maintenant ? Est-ce que ça a quelque chose à voir avec une nouvelle volonté du gouvernement malien d'élargir ses coopérations, ce qui serait légitime.
DW: Est-ce qu'on peut imaginer qu'il s'agisse aussi d'une stratégie des autorités maliennes vis-à-vis de leurs partenaires européens, et notamment la France, à quelques semaines du sommet du mois d'octobre à Montpellier pour dire : attention, vous n'êtes pas nos seuls interlocuteurs et pour être en mesure de négocier d'autres choses comme la durée de la transition ?
Ça, c'est l'éternelle question, est-ce que ce sont les Maliens qui exercent la pression sur la France ou bien les Français qui exercent la pression sur le Mali ? Si on se laisse entraîner dans des questions géopolitiques, comme la place de la Russie en Afrique ou la place de la France en Afrique, on ne va jamais résoudre ici les questions de fond. Parce que les questions de fond ici concernent les structures de l'Etat, l'état dysfonctionnel de l'Etat malien. Donc, vous avez déjà une multitude d'acteurs et ajouter encore le facteur russe… je ne suis pas sûr que ça va - et c'est justement ça qui serait la priorité à mon avis - aider à stabiliser l'Etat malien.
DW: Quelle incidence une arrivée des Russes au Mali pourrait-elle avoir sur l'engagement allemand ?
L'Allemagne est ici dans le cadre du partenariat européen. Elle est engagée dans le cadre de l'EUTM [mission européenne de formation de l'armée malienne] et dans le cadre de la mission des Nations unies, la Minusma. Donc l'Allemagne n'est pas ici en tant qu'acteur au sens propre du terme. Bien sûr, il existe aussi une coopération bilatérale de l'Allemagne avec le Mali mais elle remonte à l'indépendance. La présence de l'Allemagne n'est donc pas tributaire d'un engagement unilatéral mais bien multilatéral.
Pensez-vous que les députés allemands, qui votent les missions de la Bundeswehr, ne modifieraient pas leur position, quelle que soit la réaction de la France au Mali ?
Bien sûr, cela a son importance. Nous opérons dans le cadre de notre partenariat européen, et la France joue ici un rôle très important. Il faudrait en discuter aussi dans le cadre de la coopération avec la France. L'Allemagne n'agit pas seule. Il faudra en discuter avec nos amis français : comment continuer notre coopération ici. Ce que je n'aime pas, ce sont les petits débats : est-ce que c'est la France, la Russie, l'Allemagne, ou la Chine qui va prendre les devants dans les affaires sahéliennes ? Parce que pour nous, en tant qu'Européens, notre premier intérêt, c'est la stabilité de nos partenaires ici dans la région. Et si, par exemple, la Chine aussi peut contribuer à la stabilisation de la région, tant mieux !
Que ce soit le Mali ou d'autres pays en Afrique, il s'agit de pays indépendants, des Etats souverains. Il faut leur poser la question de ce qu'ils veulent. Et c'est à eux de structurer leurs partenariats. Ce n'est pas à nous de dire aux Africains ce qui ce qui est bon pour eux. C'est à eux de définir ça et c'est à eux de réformer leur système politique. C'est à eux de réformer leur armée. C'est à eux de prendre la responsabilité, vis-à-vis de leur population. Nous, on est là pour aider, mais ce n'est pas notre responsabilité.
En revanche, il est normal que nous ayons aussi des demandes, par exemple concernant les réformes de la gouvernance, pour savoir si les structures de l'armée fonctionnent. Nous voulons être sûrs que l'argent est bien investi, si vous voulez. Mais la décision finale revient toujours aux Etats africains.