La Libye au bord du gouffre
19 août 2024La mission de l'Onu en Libye s'inquiète du regain de "mobilisation des forces [armées], dans différentes régions du pays" et du "renforcement militaire" autour de Tripoli. Il y a une dizaine de jours, le 10 août, la mission onusienne est parvenue, par sa médiation, à obtenir la signature d'un accord pour mettre fin aux combats entre deux groupes armés aux abords de la capitale. Mais, la situation reste très tendue en Libye, un pays est loin d'être stabilisé.
Vers une reprise des affrontements à grande échelle ?
C'est une reprise des affrontements à grande échelle que redoutent de nombreux observateurs de la Libye.
La semaine dernière, les alertes se sont multipliées, de la part de l'Onu et de la délégation de l'Union européenne notamment, parce que les milices affiliées à l'un ou l'autre des deux camps politiques qui s'affrontent ont commencé à se réarmer.
Emaddin Badi, chercheur principal à l'Atlantic Council et spécialiste de la Libye, regrette que le pays ait "été largement négligé par la communauté internationale". Selon lui, "beaucoup se sont bercés d'illusions en pensant qu'elle pourrait rester stable à long terme, soit en maintenant le statu quo, soit en concluant des accords entre les factions qui ont découpé le pays."
Depuis dix ans maintenant, la Libye est scindée en deux
Dans l'ouest, à Tripoli, le gouvernement d'union nationale est soutenu par l'Onu.
Dans l'est, la "Chambre des représentants" est une sorte de gouvernement concurrent, installé à Tobrouk, et dirigé par le maréchal Khalifa Haftar et soutenu notamment par la Russie et l'Egypte.
Chacune de ces deux unités tente depuis 2014 de prendre le contrôle de l'ensemble du pays. En vain.
En 2019, la tentative des troupes de Haftar de marcher sur Tripoli. Après l'échec de son assaut, il a été force de signer un cessez-le-feu. Mais la semaine dernière, ces hommes auraient repris le chemin de la capitale.
Khalifa Haftar clame que ses troupes, dirigées par son fils Saddam, sont là pour sécuriser les frontières, combattre les trafics de drogues et d'êtres humains, lutter contre le terrorisme. Mais il se pourrait que leurs réelles intentions soient moins nobles.
Ainsi, les forces commandées par Khalifa Haftar ont tenté de prendre le contrôle de l'aéroport de Ghadames, situé à la frontière avec la Tunisie. S'ils y parvenaient, explique le chercheur Jalel Harchaoui du Royal United Services Institute, dans Le Monde, ils gagneraient en stature, face à l'Algérie, la Tunisie et le Niger et pourraient bloquer les accès à leur rival de Tripoli.
En face, des milices favorables aux institutions de Tripoli manifestent aussi leur volonté d'en découdre.
Stratégie de bravade
Des heurts ont eu lieu récemment à Tajoura entre deux milices – c'est près de Tripoli. Au moins neuf personnes ont été tuées dans ces violences.
Emaddin Badi pense qu'"à l'heure actuelle, les acteurs libyens s'engagent dans une stratégie de bravade pour voir jusqu'où ils peuvent aller dans la provocation, la mise à l'écart ou l'affaiblissement de leurs adversaires. C'est dans ce cadre que je vois, par exemple, la mobilisation militaire de Haftar dans le sud-ouest de la Méditerranée, etc."
Hafed al-Ghwell, directeur de recherche à l'Institut de politique étrangère de l'université Johns Hopkins à Washington, dit craindre que la Libye ne devienne un "État mafieux".
Les tentatives d'unir les deux moitiés du pays, par exemple en organisant des élections nationales, en unifiant les forces de sécurité, l'administration ou en mettant en place un gouvernement intérimaire d'unité nationale, n'ont pas abouti
Plusieurs experts s'accordent à dire que le statu quo n'est plus tenable.
Selon Emaddin Badi, l'équilibre précaire actuel ne tient que par la rivalité entre les soutiens internationaux des deux camps.