Au Tchad, le discutable choix de l'amnistie générale
23 novembre 2023Le Conseil national de transition du Tchad, qui fait office de Parlement, doit examiner aujourd'hui [23.11.23] le projet de loi d'"amnistie générale pour les faits commis pendant les événements du 20 octobre 2022". Son adoption en procédure d'urgence ne devrait être qu'une formalité.
Ce texte prévoit, en trois articles et au nom de la réconciliation nationale, d'amnistier tous les Tchadiens, civils ou militaires, "impliqués, poursuivis ou condamnés" suite aux violences survenues lors des manifestations réprimées dans le sang, l'année dernière. Ce projet de loi résulte de l'accord signé entre les autorités militaires et l'opposant, Succès Masra.
Pour en savoir davantage sur l'amnistie et les autres instruments de la justice transitionnelle, lisez ci-dessous ou écoutez ci-contre l'entretien avec Pierre Hazan, spécialiste de ces questions, et auteur notamment de "Négocier avec le diable", paru aux Editions Textuel en 2022.
Interview de Pierre Hazan
Pierre Hazan: L'amnistie remonte à la Grèce antique. En théorie, elle est interdite pour les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et les actes de génocide.
DW : Est-ce que cela signifie que, même si une loi d'amnistie a été adoptée dans un pays donné, certains auteurs de crimes peuvent quand même être poursuivis par la Cour pénale internationale pour ces crimes ?
Complètement. Une loi peut être décrétée par un pays qui dirait "Nous offrons une amnistie générale" mais la CPI, si elle est saisie d'une affaire et si elle considère que cet individu est effectivement l'auteur de crimes internationaux et qu'il se trouve dans un territoire où il peut être appréhendé, il peut être poursuivi.
DW: Y a-t-il d'autres solutions que l'amnistie en vue d'une réconciliation nationale et pour restaurer la paix dans un pays qui a traversé de graves violences, ou des conflits ?
C'est tout l'enjeu de la justice dite traditionnelle, dans un pays qui sort d'une guerre civile, il faut rétablir une unité nationale. Cela peut passer par une variété de mécanismes : naturellement la justice pénale, mais aussi la justice réparative - avec des commissions d'enquête, des commissions Vérité et Réconciliation, que ce soit aussi par l'ouverture des archives, ce qu'on appelle le droit à la vérité - ou encore le droit à des réparations individuelles ou collectives, ou cela peut être aussi des garanties de non-répétition, c'est-à-dire en prenant des mesures qui garantissent par exemple que les minorités seront constitutionnellement protégées.
Donc il y a de nombreux mécanismes qui portent sur le droit dit à la vérité, le droit à la justice pénale, le droit aux réparations ou le droit aux garanties de non-répétition.