Comparaison de l'extrême-droite en France et en Allemagne
6 avril 2022En France, deux candidats d'extrême-droite se présentent à l'élection présidentielle du 10 avril : Eric Zemmour, pour le mouvement "Reconquête !", et Marine Le Pen, du Rassemblement national. Ces deux candidats ont axé leur campagne sur des thématiques un peu différentes : la lutte contre l’immigration pour Eric Zemmour et le pouvoir d’achat pour Marine Le Pen. Mais tous les deux sont issus d’une même famille politique et ont de nombreux points communs, comme la xénophobie.
Jean-Louis Georget, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle et directeur du Centre d’études et de recherches sur l’espace germanophone (CEREG), compare, au micro de la DW, les idées défendues par les partis d’extrême-droite en France et par l'AfD en Allemagne.
Jean-Louis Georget vient de publier “L’ethnologie nationale allemande. Autopsie d’une discipline” aux Presses Universitaires du Septentrion.
Jean-Louis Georget : En France comme en Allemagne, les partis d'extrême-droite s'adressent à un même public, des couches populaires qui ont été plutôt oubliées, un peu les perdants de la mondialisation. Je pense que les deux partis - et on le voit bien parce que l'AFD est bien plus présente en Allemagne de l'Est - se sont construits sur les ruines du communisme. Dans les anciennes banlieues rouges de Paris, c'est un peu la même chose. C’est sur les couches populaires qui ont été complètement oubliés par les grands partis que se sont construits finalement aussi les partis d'extrême droite, c'est un point commun.
Toutefois je crois qu'il y a une différence en tout cas entre la France et l'Allemagne. Si on regarde la géographie de ces partis, l'Allemagne de l'Est, c'est l'ancienne RDA et l'ancienne RDA était un pays très fermé à l'immigration étrangère, alors que la France est un pays ouvert depuis le XVIIIᵉ siècle. Finalement, la France est traditionnellement un pays d'immigration, tandis que l'Allemagne a été longtemps un pays d'émigration.
Et sur le plan économique, est-ce qu'on pourrait dire que l’AfD est un parti encore plus libéral – ou qui s'affiche en tant que tel - davantage qu'une Marine Le Pen qui a un programme plus dirigiste, en tout cas pour cette élection présidentielle 2022 ?
Oui et non parce que l'un comme l'autre sont très fanatiques des démocratures, ces grandes économies à la fois libérales ou pseudo-libérales et très fermées, comme la Chine, qui défendent une sorte de libéralisme nationaliste.
Ou la Russie...
La Russie aussi, avec ces valeurs-là. Et l’AfD comme le parti de Marine Le Pen ont été partiellement financés par la Russie. Bien sûr, il y a une forme d'antieuropéanisme qui affiché dans les deux cas. Mais sur le fond, je pense que c'est un peu le même discours, quand même très démagogique. C'est un discours anti-élites sur fond d'antisémitisme. C'est toujours en filigrane.
L’AfD comme le Rassemblement national prétendent défendre l'identité nationale. Est-ce qu’ils parlent de la même chose ?
Oui et non, parce que l'histoire est quand même très différente.
Les grandes déchirures de la France, c'est 1940 et la décolonisation. Ce qu’essaie de reproduire Marine Le Pen derrière tout cela, est une forme de discours de la grandeur. En Allemagne, c'est plutôt la renaissance d'un sentiment national dans une Allemagne qui a été dénationalisée d'une certaine manière, à la fois par les Américains et les Russes à partir de 1945, où le sentiment national n'était absolument plus acceptable. Ce que fait lAfD c'est de renationaliser le discours national.
Comment expliquer que malgré les nombreux points communs qu'en Allemagne l’AfD a fait 11 à 12% aux dernières élections et qu’en France, Marine Le Pen et Eric Zemmour sont crédités à eux deux de près de 33% des voix au premier tour ?
C'est à mon avis à cause du régime politique. Cette personnalisation de la vie politique en France autour de l'élection présidentielle favorise l'émergence de cette polarisation très forte. Mais aussi parce que les partis de droite et le Parti socialiste, pour le moment, ne constituent plus d'alternatives dans un paysage politique complètement fragmenté.
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Evidemment, l'opposition se cristallise autour de figures très identifiables. Dans un système comme la France, il n'y a pas ce système de coalitions, il y a une forme de personnalisation beaucoup plus grande. Ce qui fait que les grandes figures de l'extrême droite constituent une alternative possible.