Et si l'Allemagne misait sur le développement au Sahel
16 février 2021Le sommet du G5 Sahel se referme à N'Djamena sur plusieurs annonces : d'abord un renforcement des troupes tchadiennes dans la région des trois frontières, aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. 1200 soldats tchadiens supplémentaires seront déployés dans la zone.
"On peut se demander si c'est une bonne idée, doute Thomas Schiller, directeur de la Fondation allemande Konrad Adenauer à Bamako, quand on sait que le Tchad est lui-même confronté à l'insécurité dans le bassin du Lac Tchad et dans le Nord. Mais cette "sahélisation" de l'intervention militaire pourrait, sur la durée, permettre à la France de se désengager."
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Si Emmanuel Macron n'a pas annoncé la réduction des troupes françaises "dans l'immédiat", la France commence à préparer sa "stratégie de sortie" et Paris compte concentrer sa présence militaire dans la région encore davantage sur la lutte contre le terrorisme. L'Elysée compte sur le soutien de ses partenaires régionaux et internationaux (missions Takuba, Minusma, EUTM).
Avec qui négocier?
La France pourrait d'ailleurs revoir son refus catégorique de négocier avec tous les djihadistes : c'est-à-dire, certes, continuer à tenter de "décapiter" le groupe Etat islamique au grand Sahara (EIGS), comme le clame Emmanuel Macron, mais d'un autre côté s'aligner sur le dialogue amorcé par les autorités maliennes, déjà sous la présidence IBK, avec le GSIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans).
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Thomas Schiller nuance en effet entre les deux groupes armés. Le GSIM est affilié à al-Qaida et selon lui, "ce groupe-là est essentiellement composé de locaux. Son leader, Iyad Ag Ghaly, est un Malien. Il connaît d'ailleurs de nombreuses personnalités ici à Bamako. Donc il y a effectivement une possibilité de négociation.
Actuellement il me semble, mais c'est un point de vue personnel, que la France se laisse ouverte toutes les possibilités : à la fois négociation et destruction de ces groupes terroristes. C'est une question de souplesse dans l'approche qui peut permettre de trouver des accords au sein de ces groupes terroristes avec des gens qui seraient peut-être prêts à quitter les groupes armés."
Rétablir l'autorité de l'Etat et penser aux civils
De nombreux analystes s'accordent à penser que le "tout militaire" ne permettra pas de réduire l'insécurité dans la région, où les violences ont déjà provoqué le déplacement de plus de deux millions de personnes, selon l'Onu.
La stratégie de la riposte militaire est même "redoutable", c'est un échec de l'avis de Grit Lenz, coordinatrice de l'organisation Fokus Sahel. Elle rappelle que le nombre de victimes civiles dans la région n'a jamais été aussi élevé que l'année dernière.
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Pour revenir à une situation plus stable, il faut donc renforcer les Etats dans la région, engager des réformes afin d'améliorer la gouvernance, que l'Etat ne soit plus considéré dans les zones instables comme une machine corrompue, hostile, qui prélève uniquement des impôts… mais surtout écouter les besoins des populations.
Et en cela, l'Allemagne pourrait jouer un rôle plus important, estime Grit Lenz, notamment "au sein de l'Union européenne pour promouvoir une gestion non-violente des conflits, en vue d'une réconciliation et pour la résilience des sociétés. L'Allemagne doit aussi s'émanciper de la France dans sa politique au Sahel pour surmonter les inégalités socio-économiques qui sont à la base de nombreux conflits et violences."
Thomas Schiller, de la Fondation Konrad Adenauer à Bamako, rappelle que l'engagement allemand ne se limite pas à la formation des forces de sécurité et de défense au Sahel, mais qu'il s'étend aussi au développement.
Thomas Schiller préconise un renforcement des programmes destinés à appuyer les fonctions régaliennes des Etats du Sahel, ainsi qu'un maintien des programmes de développement déjà financés par l'Allemagne, par exemple par le biais de la GIZ dans l'agriculture, afin qu'ils bénéficient réellement aux populations.
"Cela ne signifie pas forcément dépenser plus d'argent ou de mettre encore plus de programmes en oeuvre, mais plutôt de concentrer les efforts sur des priorités" clairement établies, explique-t-il.