L'homophobie en hausse en Afrique
9 janvier 2024Amnesty International vient de publier un rapport sur les stigmatisations et persécutions que subissent les personnes homosexuelleset, plus largement, de la communauté LGBTI+ dans douze pays d’Afrique. Le constat est accablant : les discriminations par la loi, les sanctions et les violences subies par ces personnes étaient en hausse en 2023.
Des arsenaux juridiques répressifs
Les droits des personnes LGBTI+ sont en régression dans le monde. La rhétorique homophobe, les discours de haine et la violence dirigés contre les personnes homosexuelles se propagent. Ils sont de plus en plus visibles, notamment, sur les réseaux sociaux. Les appareils juridiques se durcissent, aussi, dans de nombreux pays.
En Ouganda, par exemple, une personne suspectée d’homosexualité et qui aurait déjà été condamnée pour ce type de pratiques encourt désormais la peine de mort.
Evariste Ndayishimiye attise les tensions
Au Burundi, le Code pénal a été durci en 2017 et la loi prévoit des amendes et jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour "pratiques homosexuelles ou incitation aux pratiques homosexuelles". Or, comme le déplore Sébastien Tüller, responsable de la commission LGBTI+ à Amnesty International France, ces dispositions juridiques sont alimentées par des discours homophobes du chef de l’Etat, Evariste Ndayishimiye, qui amplifient les violences envers les personnes LGBTI+.
"On est effectivement en lien sur le terrain avec de nombreux militants et militantes LGBTI+ ou même des militants pour l’égalité, déclare Sébastien Tüller au micro de la DW. Pour le Burundi, on a suivi l’arrestation d’une vingtaine de personnes arrêtées alors qu’elles assistaient à un atelier sur le VIH-Sida, donc sur la santé. Elles ont toutes été accusées d’homosexualité et d’incitation à la débauche. 19 personnes ont été acquittées et certaines sont toujours en détention. Les autorités ont déjà indiqué qu’elles feraient appel de ce jugement."
Sébastien Tüller souligne que "quand on dénonce des discours publics homophobes, il faut bien voir que cela a des répercussions bien réelles sur la vie des personnes."
Violences concrètes : viols, castrations...
Le rapport d’Amnesty International souligne qu’en-dehors des lois qui discriminent les personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, il existe aussi de nombreuses pratiques de persécutions et de violences concrètes dont sont victimes les personnes LGBTI+.
Les témoignages recueillis par l'ONG font état "notamment des castrations, les vérifications génitales, des thérapies dites "de conversion", c’est-à-dire destinées à modifier l’identité de genre ou l’orientation sexuelle d’une personne", précise Sébastien Tüller.
Il ajoute qu'"il y a aussi la promotion de tests anaux qui s’apparentent à de la torture qui viseraient à établir l’homosexualité d’une personne".
C'est pourquoi, précise-t-il, "Amnesty International demande à ce qu’on arrête ces pratiques de torture et que les Etats s’engagent enfin à appliquer leur propre constitution, leurs propres traités, la Charte des droits et des peuples africains et les traités des Nations unies que chaque Etat s’est engagé à appliquer dans son pays."
Pour Amnesty International il faut commencer par changer la loi, afin que dans un second temps les mentalités puissent évoluer vers moins de persécutions et davantage de tolérance dans les sociétés.
Quel rôle pour un président ?
David Gakunzi, intellectuel burundais en exil, reconnaît que l’homophobie est une réalité au Burundi, comme ailleurs en Afrique. Mais selon lui, les propos violents du président Ndayishimiye fin 2023, qui allaient jusqu’à légitimer la "lapidation" des homosexuels, ont choqué une partie de ses concitoyens : "Beaucoup ont estimé qu’il n’appartient pas à un président de se prononcer sur qui doit faire quoi avec qui dans un lit, que le rôle d’un président est de s’occuper de l’économie et de la bonne gouvernance d’un pays."
L'homophobie comme instrument de diversion
Par ailleurs, David Gakunzi note que l’homophobie tend à "devenir un marqueur idéologique de tous les régimes autoritaires". Avant de poursuivre : "Et deuxièmement, je dirais que l’homophobie permet d’éclipser toutes les questions fondamentales qui traversent la société, notamment de pauvreté, de misère. Le Burundi se porte très mal actuellement, notamment au niveau des droits économiques, sociaux et politiques."
"L'homosexualité a toujours existé en Afrique"
Quant au tabou que reste l’homosexualité au sein de la société burundaise, David Gakunzi en appelle à une meilleure éducation.
"On entend beaucoup de gens dire que l’homosexualité aurait été importée de l’Occident. Affirmer cela, c’est faire preuve d’une méconnaissance crasse de l’histoire et de l’anthropologie africaine, déplore l'écrivain. L’homosexualité a toujours existé en Afrique".
David Gakunzi cite divers exemples comme "le roi Kabaka Mwanga en Ouganda [qui] assumait publiquement son homosexualité. Il y a aussi des exemples de communautés d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe où la pratique homosexuelle et même la coexistence étaient acceptées. Par contre, je dirais que c’est l’homophobie qui est arrivée avec la colonisation. Parce qu’on l’oublie souvent mais les premières lois homophobes datent de la colonisation."
Le faux argument religieux
Pour réfuter les arguments religieux avancés par le président Ndayishimiye contre les personnes homosexuelles, David Gakunzi rappelle que Desmond Tutu lui-même, archevêque sud-africain prix Nobel de la paix, déclarait qu’il ne fallait pas prendre au pied de la lettre tout ce qui est écrit dans la Bible :
"Il y a aussi des passages dans la Bible qui disent que l’esclavage est normal. […] Et puis on ne peut pas se prétendre panafricaniste et vouloir persécuter les gens pour ce qu’ils sont : nos frères parce qu’ils sont homosexuels ou nos sœurs parce qu’elles sont lesbiennes. […] L’homosexualité n’est pas une maladie, elle ne s’attrape pas."
David Gakunzi est l'auteur de "Ce rêve qui dure encore", ouvrage paru en 2023 chez Temps universel.