Paralyser Berlin pour sauver le climat // En Turquie, le désespoir des rescapés du séisme
Une poignée de militants sont agenouillés devant des dizaines de voitures à l'arrêt, sous un concert de klaxons. Un automobiliste en attrape deux par les cheveux et les traîne sur le côté sans ménagement pour dégager la voie.
A un autre endroit de la ville, deux policiers saisissent un homme par les bras et la tête pour le décoller du sol où il est assis. Le militant se laisse emporter en laissant échapper un cri de douleur...
Des scènes de ce genre, on en voit beaucoup ces jours-ci sur internet. Elles montrent l'ambiance qui règne actuellement dans la capitale allemande, où plus de 500 membres du mouvement autoproclamé "Soulèvement de la dernière génération avant le basculement" ont lancé lundi (24.04.23) des opérations de blocage dans une quarantaine d'endroits. Jakob Beyer est l'un des porte-parole du mouvement.
"Nous avons décidé de bloquer pacifiquement Berlin pour créer une perturbation qui ne peut pas être ignorée. Nous voulons que le gouvernement se mette enfin à bouger, qu'il commence à protéger notre environnement vital ou bien qu'il convoque un conseil citoyen s'il constate qu'il n'en est pas capable. Nous faisons de la résistance, nous protestons et nous ne partirons plus."
Deux ans pour sauver le climat
Les activistes justifient leur détermination par l'urgence de la situation : les objectifs climatiques de l'Allemagne sont en danger. Le pays doit réduire d'ici à 2030 ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 65% par rapport au niveau de 1990. Il veut aussi atteindre la neutralité carbone d'ici à 2045.
Or le rapport rendu la semaine dernière par le Conseil des experts du climat, qui est chargé d'évaluer l'action gouvernementale, est sans appel : l'Allemagne n'est pas sur la bonne voie pour atteindre ces objectifs.
Pour le mouvement Letzte Generation, qui est composé de jeunes, mais aussi de citoyens plus âgés inquiets de l'avenir de leurs enfants, il est temps de réveiller le gouvernement.
"La catastrophe climatique commence déjà maintenant, avec un réchauffement mondial de 1,2 degré", argumente Jakob Beyer. "Si on dépasse les points de basculement, on risque d'avoir un monde à 3, 4, voire 5 degrés. Ca veut dire qu'on s'enfoncera dans des famines, des catastrophes et des guerres. C'est pour ça qu'on doit tout mettre en œuvre dans les deux prochaines années pour l'éviter."
Fini la coopération, il faut attirer l'attention
Comme d'autres mouvements pour le climat, Letzte Generation a opté pour des actions de désobéissance civile fortement médiatisées. Une stratégie relativement récente qui marque une rupture par rapport aux anciens mouvements écologiques, comme l'explique Annaëlle Vergonjeanne. Elle est doctorante en sciences politiques et travaille sur les mouvements de jeunesse.
"Pendant très très longtemps, le mouvement climatique international s'est beaucoup organisé autour et en marge des COP, les grandes réunions internationales annuelles pour le climat, et dans une perspective d'accompagnement de ces COP pour en demander le plus possible avec beaucoup d'espoir, mais dans la coopération internationale. La recherche montre qu'il y a un point de tournant à partir de 2009, parce qu'on échoue à avoir un premier accord satisfaisant. À partir de là, les mouvements historiques qui étaient formés autour d'ONG vont s'essouffler un petit peu dans leurs luttes traditionnelles. Et en 2015, ils sont quasiment au point mort."
A partir de 2018, de nouveaux mouvements émergent dans plusieurs pays, dont l'Allemagne. Il y a Fridays for Future, qui organise des grèves scolaires pour réclamer aux gouvernants qu'ils respectent leurs engagements pris dans l'Accord de Paris, à savoir limiter le réchauffement à 1,5 degré. Et il y a Extinction Rebellion, dès le départ plus radical.
"Extinction Rébellion en revanche se considérait comme le pendant avec des actions radicales, en considérant que puisque l'État n'écoutait pas les mouvements lorsqu'ils utilisaient les voies qui leur étaient proposées, il fallait faire des grosses actions pour obliger à regarder ce qu'il se passait et pour obliger à prendre conscience de l'urgence des questions climatiques et de la mise en œuvre de politiques efficaces pour faire la transition climatique", analyse Annaëlle Vergonjeanne.
Le succès historique de la résistance civile
Letzte Generation s'inscrit dans la continuité d'Extinction Rebellion. Le mouvement a adopté le même modus operandi : barbouiller des œuvres d'art, ou se coller à la glue pour bloquer l'accès à des raffineries ou à des routes.
L'objectif principal de ces actions de désobéissance civile est d'attirer l'attention, affirme Jakob Beyer, porte-parole de Letzte Generation.
"Nous avons tout essayé ces dernières années. Nous avons défilé avec des millions d'autres avec Fridays for Future et nous avons été tout simplement ignorés. C'est pour ça qu'on a cette nouvelle forme de contestation. On a vu que la résistance civile a fait ses preuves dans l'histoire comme moyen le plus efficace pour provoquer des changements. Les suffragettes qui ont obtenu le droit de vote pour les femmes, le mouvement des droits civiques avec Martin Luther King aux Etats-Unis, ou encore le mouvement de Mahatma Gandhi en Inde, il y a des tas d'exemples qui montrent que les plus grands changements sociaux ont été obtenus quand les gens sont entrés en résistance civile et qu'ils ont provoqué une perturbation du système."
Perturber le système, au risque de susciter la colère ou l'incompréhension, le mouvement assume sa stratégie. Et si la classe politique se montre critique, jusque dans les rangs des écologistes, les manifestations de solidarité sont également nombreuses.
Lundi à Berlin, des militants d'autres mouvements, dont des scientifiques appelant à "agir au lieu de criminaliser" ont défilé à vélo pour afficher leur soutien aux opérations de blocage.
Des peines de plus en plus lourdes contre les activistes
La criminalisation des activistes est en effet une tendance de plus en plus courante. La semaine dernière, un tribunal du sud-ouest du pays a condamné trois militants de Letzte Generation à plusieurs mois de prison ferme pour avoir bloqué la circulation en se collant à une route fédérale début mars à Heilbronn.
Le porte-parole du parti conservateur bavarois Alexander Dobrindt, ancien ministre des Transports, plaide pour des peines encore plus sévères contre les activistes pour empêcher, affirme-t-il, qu'émerge une "RAF du climat" - une allusion à la Fraction Armée rouge, un mouvement d'extrême-gauche qui avait semé la terreur avec des attentats et des enlèvements en Allemagne dans les années 1970. Mais cela n'ébranle pas la conviction de Jakob Beyer.
"Nous protestons avec nos noms et nos visages et nous l'assumons. Nous savons que la catastrophe qui nous arrive dessus touche en premier lieu les plus pauvres qui n'y peuvent rien et que le pourcent le plus riche l'encourage. C'est tellement injuste que si nous devons aller en prison pour cela, nous le ferons publiquement car nous sommes persuadés que c'est le meilleur moyen à notre disposition. Et nous avons l'espoir que si les gens voient que nous allons en prison pour la survie de tous, ils se disent que c'est injuste et nous soutiennent."
Le mouvement est bien décidé à tenir son siège jusqu'à obtenir la mise en place d'un conseil climatique citoyen chargé d'élaborer des propositions pour obtenir la sortie des énergies fossiles d'ici à 2030. Il faudra pour cela un accompagnement médiatique massif, insiste Jakob Beyer, pour contraindre le gouvernenement à mettre en œuvre les mesures "à une vitesse sans précédent".
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