L'Allemagne veut garder le lien avec les civils du Sahel
24 juin 2024Dans le Sahel, trois pays, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, sont désormais dirigés par des militaires putschistes, le cas du Tchad étant différent puisque des élections ont été organisées en mai. Les sociétés civiles locales et leurs partenaires allemands tentent de s'adapter et de redéfinir une base pour leur coopération. Le réseau d'ONG Fokus Sahel a organisé, il y a peu, une rencontre pour que ses membres puissent échanger librement sur ces questions.
Les coups d'Etat ont changé la donne au Sahel
Aminata Touré Barry préside l'Amasbif, l'Association malienne pour la sauvegarde du bien-être de la famille, une organisation de la société civile malienne.
Lorsqu'elle déclare que "ce ne sont pas des coups d'Etat, mais ce sont des renversements", ses propos lui valent des murmures de réprobation de la part des organisations partenaires allemandes présentes à la rencontre. Mais aussi en provenance d'autres représentants du Mali, du Burkina Faso, du Tchad et du Niger.
La prise de pouvoir par la force par des militaires, ces dernières années – comme au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Tchad, ou encore en Guinée – a eu des répercussions sur la coopération avec l'Allemagne.
La République fédérale défend en effet la liberté d‘opinion, les valeurs démocratiques, l'Etat de droit – autant de notions qui sont, au mieux, passées au second plan sous le gouvernement des putschistes.
Maintenir le lien
Pourtant, l'Allemagne ne veut pas rompre le lien avec les organisations de défense des droits humains ou de développement locales. Et il s'agit-là d'un intérêt mutuel, selon Marcel Maïga, du réseau d'ONG Fokus Sahel :
"Du côté sahélien, on a toujours un intérêt, une envie que l'Allemagne s'engage dans cette région, affirme-t-il. De l'autre côté, l'Allemagne est prête, malgré la situation difficile, et malgré les conditions qui ne sont pas toujours à la hauteur de ce que l'Allemagne souhaiterait – à continuer à dialoguer et travailler ensemble avec ces pays."
Ulrich Thum travaille pour le département Afrique de la Fondation Friedrich Ebert (FES). Cette fondation allemande, proche du parti social-démocrate, conserve un bureau à Bamako et publie chaque année le Mali-mètre, une étude qui reflète l'atmosphère dans la société malienne. "On y voit que, d'un côté, le soutien au gouvernement reste vraiment fort, explique Ulrich Thum. Et de l'autre, que les Maliens placent la paix et la sécurité en tête de leurs préoccupations. Deux tendances qui se contredisent un peu."
Différences de lecture
Aminata Touré Barry, de l'Amasbif, ne voit pas en quoi le soutien aux militaires et ces aspirations se contredisent. "Si les partenaires comme l‘Allemagne ne veulent pas collaborer avec le Mali, c'est parce qu'ils n'ont pas compris le problème."
Elle déclare que la population malienne a toujours besoin de sécurité, d'un accès aux soins et à la nourriture et qu'il lui faut pour cela une assistance de l'étranger. Or, d'après elle, actuellement, la Russie serait la plus prompte à répondre à ces besoins.
Son compatriote, Ousmane Maïga, de l'Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie, n'est pas d'accord. Il estime, lui, que les tentatives actuelles pour encourager la cohésion sociale sont insuffisantes et il déplore les restrictions des libertés civiques dans son pays.
Ousmane Maïga déplore "une régression du point de vue démocratique et politique, notamment dans l'organisation des élections libres et transparentes". Et il poursuit : "Nous assistons à des reports de ces élections qui rendent mécontente une grande partie de la population, notamment nous, acteurs (de la société civile), qui suivons le cas de la citoyenneté et de la démocratie."
Ousmane Maïga estime d'ailleurs qu'un coup d'Etat militaire n'était pas nécessaire pour régler les problèmes du Mali. Et il cite le Sénégal en exemple : "Le cas d'un pays voisin vient bien-sûr de nous montrer qu'on peut aller à un changement sans que ça soit un renversement total du système.
Restrictions et frustrations
Au Tchad, les jeunes aussi sont en colère contre le manque de perspectives, explique Epiphanie Dionrang. Cette militante féministe ne constate aucune amélioration depuis l'arrivée au pouvoir, il y a trois ans, du général Mahamat Idriss Déby, le fils du président défunt Idriss Déby Itno. Celui-ci a été élu président de la République en mai dernier.
"Il y a tellement de restrictions dans les espaces, beaucoup plus pour les jeunes aussi, décrit la jeune femme. Il y a cette haine entre ethnies. Il y a cette frustration des jeunes. Certains sont nés sous un régime, ont grandi sous ce même régime, sans changement."
Epiphanie Dionrang considère cette frustration comme le terreau d'une radicalisation politique des jeunes gens qui amène ensuite à une répression encore plus féroce de la part des autorités.
A l'issue de la rencontre, les membres du réseau Fokus Sahel ont réaffirmé leur volonté de continuer à travailler ensemble à l'amélioration du quotidien des populations, en dépit des difficultés et tout en restant à l'écoute de la base : les principaux concernés.