La carte de paiement pour les demandeurs d'asile arrive bel et bien en Allemagne : 14 Länder sur 16 ont approuvé fin janvier l'instauration de standards communs pour ce système, qui doit remplacer les versements d'allocations en espèces.
L'idée avait été soumise en novembre par le gouvernement d'Olaf Scholz, sous la pression du parti libéral. Christian Lindner, son président, par ailleurs ministre des Finances, estime que la carte aidera à réduire les "incitations à la migration irrégulière".
Apaiser les tensions en Thuringe
Certaines communes n'ont pas attendu l'accord commun pour mettre en place leur propre système. Parmi elles, la pittoresque ville de Greiz, en Thuringe, dans l'est du pays. Elle compte actuellement 730 demandeurs d'asile, dont environ 200 ont déjà reçu leur carte à puce. Les autres devraient suivre courant mars.
Selon Martina Schweinsburg, élue locale du parti conservateur CDU, la généralisation de cette carte doit permettre d'apaiser les tensions avec les habitants :
"Quand ils vienent faire leurs courses au supermarché pour 20 € de nourriture, et qu'ils déroulent un gros paquet de billets pour en sortir un de cent euros, ça ne fait pas bonne impression. Je voulais en fait apporter la paix ici."
Selon l'élue, 15 bénéficiaires ne se sont plus manifestés depuis l'instauration de la carte, alors qu'ils venaient jusque là chercher leurs allocations chaque mois.
Limites géographiques, entre autres
A Greiz, la carte peut être utilisée dans n'importe quel magasin qui accepte les paiements avec Mastercard... Ce n'est pas un problème pour les supermarchés, mais pour les boutiques et cafés, c'est une autre histoire : à Greiz comme dans d'autres beaucoup d'endroits en Allemagne, les petits commerces n'acceptent souvent que les espèces.
De plus, la carte est seulement valable dans le périmètre de la ville, pas dans les villes alentours ni pour les achats en ligne. Pour Peter Lückmann, qui dirige l'organisation d'aide aux réfugiés AUFENDHAlt dans la ville voisine de Gera, c'est un modèle trop restrictif.
"Si la carte était faite de telle manière qu'on puisse l'utiliser comme une carte bancaire normale - chez le boulanger, le coiffeur ou n'importe quel magasin de vêtements, ce serait quelque chose à tenter."
Holger Steiniger, conseiller municipal du parti de gauche Die Linke, reconnaît lui aussi les limites du système dans une ville comme la sienne.
"Nous sommes heureux que l'obligation de résidence ait été abolie pour les demandeurs d'asile, mais on la rétablit par une porte dérobée. C'est la seule chose que je critique. Les possibilités d'achat dans le secteur de Greiz ne sont pas forcément les meilleures, et c'est un peu le problème."
La position pragmatique de la gauche pour contrer l'AfD
Au niveau fédéral, le parti Die Linke est opposé à l'instauration de la carte de paiement. Mais le ministre-président de Thuringe, Bodo Ramelow, de ce même parti, s'est prononcé en faveur du projet. Une position pragmatique, dans une région où le parti d'extrême droite AfD dépasse les 30% d'intentions de vote pour les élections prévues le 1er septembre, selon les derniers sondages...
A Greiz, 29% des électeurs ont voté pour le parti anti-immigration lors des législatives de 2021. Le conseiller municipal Holger Steiniger admet que l'instauration de la carte de paiement a des avantages.
"Avec une telle carte de paiement, je peux réfuter beaucoup de contre-vérités ou fausses informations. Les gens peuvent faire leurs courses avec, ils ne peuvent plus retirer d'argent liquide, ils n'ont plus la possibilité de payer des passeurs, etc."
Les demandeurs d'asile de Greiz reçoivent tout de même 100 euros en espèces sur les 410 euros alloués mensuellement. Dans d'autres villes, comme Hambourg, les allocataires de la "carte sociale" n'ont le droit de retirerque 50 euros en liquide sur le crédit mensuel de 185 euros alloué à chaque adulte, un montant destiné aux dépenses courantes. Les autres frais comme le loyer ou l'électricité sont versés directement aux prestataires.
Le lien avec l'immigration irrégulière n'est pas prouvé
Malgré l'harmonisation envisagée par les Länder, ces derniers garderont la main sur le montant des prestations versées en liquide et aussi sur les éventuelles restrictions géographiques de leurs cartes. Des restrictions critiquées par les organisations d'aide aux réfugiés. Selon Peter Lückmann, de l'organisation AUFENDHAlt, beaucoup de bénéficiaires craignent d'ailleurs de s'exprimer sur cette question.
"Nous ne trouvons personnes qui a le courage de parler. Parce que leurs déclarations seraient certainement exposées à la critique, et puis ils ont aussi peur des conséquences si on les identifie. Les autorités auraient une marge de manœuvre administrative pour leur rendre la vie encore plus difficile."
Les experts des questions de migration sont également sceptiques quant aux effets attendus sur le nombre de demandes d'asile en Allemagne car la migration est un phénomène plus complexe. Et ce n'est pas, selon eux, pour profiter des allocations sociales que les réfugiés arrivent en Allemagne. Peter Lückmann, lui, critique le fait qu'on ôte aux réfugiés le droit de disposer eux-mêmes des allocations.
"Une grande partie d'entre eux ont besoin de l'argent qu'ils touchent ici et l'envoient à leurs familles pour qu'elles puissent tout simplement survivre là-bas, dans leur pays d'origine. C'est aussi simple que cela."
Un point reste encore à régler : les Länder insistent pour que la loi qui régit les prestations aux demandeurs d'asile soit révisée, afin de mentionner explicitement l'utilisation de carte de paiement pour le versement des allocations. Les Verts se sont montrés critiques à ce sujet, les Libéraux du FDP mais aussi les conservateurs de la CDU/CSU ont accusé le parti de blocage. Deux Länder, la Bavière et le Mecklembourg-Poméranie occidentale, veulent introduire leur propre carte de paiement.
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L'Inde a inauguré au mois de janvier un grand temple consacré au dieu hindou Ram dans la ville d'Ayodhya, dans le nord du pays. Le premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi, tout le gouvernement indien ainsi que de nombreuses personnalités ont assisté à la cérémonie religieuse.
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