Il n’est vraiment pas courant, en Allemagne, que des milliers de personnes manifestent en même temps dans différents endroits du pays.
De Hambourg, dans le nord, à Munich, dans le sud – en passant par Cottbus, dans l’est ou Cologne dans l’ouest, depuis des jours et même des semaines maintenant, la population se mobilise pour dire "non" au parti d’extrême-droite AfD et aux plans de "remigration" dévoilés suite à une réunion secrète à Potsdam, en novembre.
Qu'est-ce que l'AfD ?
AfD, c’est l’abréviation d’ "Alternative für Deutschland", c'est-à-dire "Alternative pour l’Allemagne".
C’est un parti créé il y a 10 ans qui se présente alors comme une alternative (comme son nom l’indique) aux partis traditionnels – essentiellement le centre-gauche du SPD et le camp conservateur CDU/CSU qui alternent à la tête de l’exécutif quasiment depuis l’après-guerre.
Au départ, l’AfD est un parti anti-euro (la monnaie commune européenne), il plaide pour le retour au DM, sur l’air du "c’était mieux avant".
Mais progressivement, l’AfD va de plus en plus sur le terrain de la xénophobie et récupère des personnes engagées dans les manifestations du mouvement Pegida, par exemple.
Il y a eu ce qu’on a appelé la "crise des réfugiés de 2015" et l’afflux ressenti de migrants en Allemagne. Certaines villes et certaines structures sociales sont alors dépassées par toutes ces personnes à accueillir et certains Allemands ont peur pour leur sécurité ou que les nouveaux arrivants les privent de logements ou de prestations sociales auxquels ils aspirent.
L’AfD surfe sur cette vague hostile aux personnes immigrées.
Sous surveillance
Le parti AfD a d’ailleurs été placé sous la surveillance des services de renseignement. En Saxe, les renseignements intérieurs ont repris en ces termes deux slogans de l’AfD dans le débat sur la migration :
'Make Europa beautiful and white again' Ce slogan signifie mot-à-mot “rendre l’Europe à nouveau belle et blanche”.
Et un autre slogan de l’AfD assez représentatif de son état d’esprit : 'Deux choses doivent toujours être blanches: la fête de Noël et l'Allemagne' – en référence à la neige qui tombe souvent à la période de Noel, mais aussi et surtout bien sûr à la couleur de peau que souhaite privilégier l’AfD dans le pays.
Progression dans les urnes et les sondages
L’AfD compte désormais 83 députés au Bundestag
En décembre dernier, le parti a remporté sa première mairie d'une ville de taille moyenne, à Pirna. Il s’agit d’une ville de 40.000 habitants environ, située dans le Land de Saxe, dans l'est du pays.
Outre ses positions anti-immigrés et anti-UE, l’AfD profite aussi des dissensions au sein de la coalition gouvernementale au niveau fédéral et du mécontentement d’une partie de l’opinion publique vis-à-vis de la politique mise en œuvre par les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux.
Les scores de l'AfD sont encore plus élevés dans les Etats régionaux de l'Est de l'Allemagne. Or la Saxe, mais aussi la Thuringe et le Brandebourg doivent voter cette année pour élire leur parlement régional. Plusieurs études prédisent des scores élevés lors des prochains scrutins pour l’AfD, qui est même en tête des sondages dans ces trois régions.
Manifestations dans toute l'Allemagne
Ces dernières semaines, près d’un million et demi de personnes sont descendues dans les rues pour dire "non" à l’AfD…
Tout a commencé par la publication d’un groupe de recherche appelé Correctiv. Des journalistes ont parlé, le 10 janvier dernier, d’un "plan secret contre l’Allemagne" que seraient en train d’échafauder des militants d’extrême-droite.
De hauts responsables du parti AfD et le mouvement identitaire ont organisé au mois de novembre dernier, à Potsdam, près de Berlin, une réunion secrète avec des militants d’autres groupes de la droite extrême, mais aussi des membres de la CDU – le parti de la droite conservatrice, celui de l’ex-chancelière Angela Merkel – et aussi des représentants du milieu de l’entreprise.
Objet de cette réunion secrète : la déportation de millions de personnes hors d’Allemagne. Dans leur viseur : des personnes migrantes mais également des personnes d’origine étrangère qui ont la nationalité allemande et qui ne seraient pas "assimilées" à la société.
Lors de cette réunion, un membre du mouvement identitaire, l’Autrichien Martin Sellner, a présenté sa vision de la "remigration" – qui sont en fait des déportations massives, pour contrer le prétendu "grand remplacement" de la population du pays par les étrangers, une théorie agitée par l’extrême-droite dans plusieurs pays.
Voici comment a réagi la ministre allemande de l'intérieur à ces informations, Nancy Faeser, membre du parti SPD :
"Ce à quoi nous assistons ici, ce n'est pas une ignorance de l'histoire, mais bel et bien la continuation délibérée d'idéologies nazies. Ce que nous voyons, c’est la mise en place de réseaux d'extrême droite et des idéologies d'extrême droite. Il s'agit d'une tentative claire de définir sur des critères ethniques qui a sa place en Allemagne et qui n'en a pas. Et cela, nous ne le permettrons pas".
Droits et Libertés est une émission préparée, produite et présentée par Sandrine Blanchard
Avec un merci cette semaine à Anne Le Touzé et Hans Pfeifer