Un an de pouvoir taliban et autant de fausses promesses
15 août 2022Les droits des femmes
Affirmation : Zabihullah Mujahid, porte-parole des talibans, a déclaré lors de sa première conférence de presse, en août 2021, que "les femmes seront très actives dans la société, mais dans le cadre de l'islam." Dans ce cadre, elles seraient autorisées à travailler et à étudier.
DW Fact Check : Faux
Lorsque les talibans ont repris le pouvoir, beaucoup craignaient un retour des règles imposées aux femmes lorsque le groupe a gouverné le pays de 1996 à 2001.
Cette crainte était finalement justifiée, car un an plus tard, les talibans ont à nouveau mis en place de nombreuses restrictions pour les femmes.
Elles doivent se couvrir de la tête aux pieds en public. Si une femme ne se couvre pas le visage à l'extérieur de son domicile, son père ou un autre homme de sa famille, peut être emprisonné ou renvoyé de son poste dans la fonction publique. Les femmes ne peuvent pas monter à bord d'un avion sans un tuteur masculin, qui doit être son mari ou un autre homme de sa famille ayant dépassé l'âge de la puberté.
L'accès aux parcs publics en Afghanistan est limité. Trois jours sont réservés aux femmes contre quatre aux hommes. Toutefois, selon un décret, il est fortement recommandé aux femmes de ne sortir de chez elles qu'en cas de nécessité.
Les talibans ont également restreint l'accès au travail dans certains secteurs, comme le souligne un rapport d'Amnesty International. "La plupart des femmes fonctionnaires ont reçu l'ordre de rester à la maison, à l'exception de celles qui travaillent dans certains secteurs comme la santé et l'éducation. La politique des talibans semble n'autoriser le travail des femmes que lorsqu'elles ne peuvent être remplacées par des hommes." De nombreuses femmes qui occupaient des postes de responsabilité, même dans le secteur privé, ont été licenciées.
Cette politique va également à l'encontre des principes fondamentaux de l'islam. "L'islam traitait les femmes sur un pied d'égalité, en particulier dans le domaine de l'éducation", déclare Farid Younos, ancien professeur d'université en Californie et spécialiste de l'Islam et du Moyen-Orient.
Pour Sayed Abdul Hadi Hedayat, un religieux basé en Afghanistan, "la charia ne s'oppose pas à l'éducation et au travail des femmes, car nous ne pourrons pas avoir une société fonctionnelle et prospère sans l'apport des femmes."
Selon Amnesty International, les femmes qui ont protesté contre les restrictions et les politiques des talibans ont été harcelées, menacées, arrêtées et même torturées.
L'éducation des filles
Affirmation : Alors que les jeunes filles ont pu reprendre l'enseignement dans des classes séparées deux semaines après la prise du pouvoir par les talibans, les étudiantes du secondaire n'ont pas pu y retourner. En septembre 2021, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a déclaré que le "ministère de l'Education travaille dur pour fournir le terrain nécessaire à l'éducation des lycéennes dès que possible." Aucun calendrier n'a été avancé.
DW Fact Check : Faux
En mars dernier, le ministère afghan de l'Education a annoncé le retour en classe dans les collèges et lycées. Cependant, un jour plus tard, le ministère est revenu sur sa décision, appelant les collégiennes et lycéennes à quitter leur établissement scolaire. Le ministère a mis en cause le manque d'enseignants et les problèmes d'uniformes scolaires. Les autorités avaient assuré vouloir rouvrir les écoles réservées aux filles dès qu'un plan serait établi conformément à "la loi islamique et à la culture afghane". Depuis lors, rien n'a changé.
Amnistie générale
Affirmation : le 17 août 2021, Zabihullah Mujahid, a déclaré : "Je voudrais assurer à tous nos compatriotes qu'ils ont été importants, qu'ils aient été traducteurs, participé à des activités militaires ou fait partie des civils. Personne ne fera l'objet de vengeances". Le porte-parole des talibans a également affirmé que "des milliers de soldats qui nous ont combattus pendant 20 ans, après l'occupation ont été graciés."
DW Fact Check : Faux
Après une première "vague d'homicides de représailles [...] déclenchée lors de la prise du pouvoir par les talibans", selon les termes d'Amnesty International, et une "chasse à l'homme en faisant du porte-à-porte" dans les jours qui ont suivi la prise du pouvoir par les talibans à Kaboul, il semble que les islamistes ne se sont pas livrés à la vaste campagne de représailles tant redoutée.
Toutefois, les Nations unies ont enregistré depuis la prise de pouvoir des talibans au moins 160 exécutions extrajudiciaires, 178 arrestations arbitraires, 23 arrestations menées secrètement et 56 cas de torture d'anciens membres du gouvernement et des forces de sécurité.
Le rapport de la Manua, la mission onusienne en Afghanistan, conclut que "l'amnistie ne semble pas avoir été systématiquement respectée."
Les menaces et représailles contre les journalistes
Affirmation : les talibans ont réitéré cette promesse faite à Reporters Sans Frontières (RSF), affirmant leur engagement en faveur de médias impartiaux et de la liberté de la presse - tant qu'ils n'interfèrent pas avec le "cadre culturel" des talibans.
DW Fact Check : Faux
Quelques jours seulement après avoir pris le pouvoir, des combattants talibans ont tué un parent d'un journaliste de la Deutsche Welle. En septembre 2021, la Fédération internationale des journalistes a rapporté que Fahim Dashti, le chef de l'Union nationale des journalistes d'Afghanistan (ANJU), avait été tué lors d'un affrontement entre des talibans et des combattants du Front de résistance nationale.
Les organisations de défense des droits de l'homme n'avancent pas de preuves concrètes d'assassinats de journalistes par des talibans. Cependant, il ne fait aucun doute que la liberté de la presse s'est détériorée depuis que les talibans ont conquis Kaboul. Selon un rapport de RSF, sur les plus de 10.000 personnes travaillant dans les rédactions afghanes en juillet 2021, moins de la moitié d'entre elles s'y trouvaient encore fin 2021. Par ailleurs, plus de 230 médias sur les quelque 550 en activité à l'été 2021 ont disparu dans les trois premiers mois suivant la prise de pouvoir des talibans.
En mars, les talibans ont également empêché plusieurs médias internationaux de diffuser en Afghanistan, notamment la BBC, Voice of America et la DW. Un mois plus tard, au moins une douzaine de journalistes ont été arrêtés en Afghanistan, ce qui a incité l'Onu à demander aux talibans de mettre fin aux détentions arbitraires de journalistes.
La culture des opiacés
Affirmation : les talibans ont affirmé que "nous ne produirons pas de stupéfiants" et rappelé au monde que les Talibans ont ramené à zéro la production de drogues à base de pavot en 2000. Ils ont aussi promis que l'aide internationale permettra de passer à des cultures alternatives.
DW Fact Check : C'est vrai, mais...
Depuis des décennies, l'Afghanistan est de loin le plus grand producteur et exportateur d'héroïne et d'opium au monde. En 2020, le pays a fourni quelque 85 % de tous les opioïdes non pharmaceutiques dans le monde, selon les recherches de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
Plus tôt cette année, les talibans ont interdit la culture du pavot et la récolte début avril, menaçant de mettre les agriculteurs en prison et de brûler leurs champs. Le vice-ministre de l'Intérieur chargé de la lutte contre les stupéfiants a affirmé que les talibans travaillaient avec d'autres gouvernements et des ONG pour trouver des cultures de substitution permettant aux agriculteurs de dégager un revenu.
Jusqu'à présent, les talibans semblent tenir leur promesse. Selon une étude de la Banque mondiale de 2004, la production de pavot en Afghanistan avait chuté à presque zéro après son interdiction par les Talibans en 2000. Elle n'est remontée en flèche qu'après le renversement du régime par les Etats-Unis, fin 2001.
Toutefois, les experts s'interrogent sur l'efficacité et la durabilité de cet effort, puisque le trafic de drogue est vital à l'économie du pays et représentait entre 9 et 14 % du PIB afghan l'an dernier. Et l'aide internationale pourrait ne pas venir combler ce manque à gagner, dans la mesure où la situation des droits de l'homme dans le pays handicape la coopération avec le régime taliban.