Vladimir Poutine et Xi Jinping, les empires contre-attaquent
18 octobre 2023Moscou, mars 2023. Sur les marches du Kremlin, Xi Jinping salue Vladimir Poutine après une visite de trois jours.
Les derniers mots adressés par le président chinois à son hôte ont résonné dans le monde entier. "Nous assistons actuellement à des changements tels que nous n'en avons pas connu depuis 100 ans. Et c'est nous qui conduisons ces changements ensemble."
Loin de considérer Vladimir Poutine comme un paria, comme l'espéraient certains pays Occidentaux suite à l’invasion de l’Ukraine, Xi Jinping a plaidé une certaine cause commune qui lie Pékin à Moscou, celle de redéfinir les rapports de force internationaux.
Les débuts d’une relation gagnant-gagnant
Cette alliance entre les deux pays n’a pas toujours existé. Pendant la Guerre froide, la Chine et l'Union soviétique s’affrontent sur des questions d'idéologie et de territoire, jusqu'à entrer en conflit ouvert le long de leur frontière en 1969.
La fin de la Guerre froide sonne l’ouverture. "La Chine était soumise à des sanctions après le massacre de Tiananmen en 1989", explique Alexander Gabuev, directeur du Carnegie Russie Eurasie Center à Berlin. "La Russie était la seule source de technologie militaire sophistiquée.
"Depuis les années 1990, l'armée chinoise a énormément bénéficié des importations russes", explique Zhou Bo, colonel supérieur à la retraite de l'armée chinoise. "Sans l'aide de la Russie, ajoute-t-il, l'armée chinoise ne serait probablement pas aussi forte qu'elle l'est aujourd'hui."
Lune de miel
Lorsque Vladimir Poutine prend le pouvoir au Kremlin, il s'empresse de renforcer cette relation en signant un traité de bon voisinage et de coopération amicale avec son homologue Jiang Zemin, en 2001.
Quelques mois plus tard, la Chine rejoint l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui lui permet de devenir le géant économique que nous connaissons aujourd'hui. La Russie jouera un rôle clé dans cette transformation.
"La Russie dispose d'abondantes ressources naturelles et a besoin de capitaux et de technologies. Pour la Chine, c’est tout le contraire", explique Alexander Gabuev.
Munich et Bucarest
Début 2007, en Bavière, les dirigeants se réunissent pour la Conférence de Munich sur la sécurité. Le discours de Vladimir Poutine est particulièrement attendu.
Son discours sera plus tard considéré comme un tournant. C’est une tirade contre un "monde unipolaire" dominé par "un seul maître", à savoir les Etats-Unis.
Le chef du Kremlin fustige tout ce que représente pour lui la puissance américaine. Mais il dénonce surtout l'élargissement de l'Otan, qui a alors gagné dix membres depuis la fin de la Guerre froide.
Lors du sommet de l'Otan en 2008, les alliés "saluent les aspirations de l'Ukraine et de la Géorgie", qui souhaitent rejoindre l’Alliance transatlantique, défiant ainsi les objections de Vladimir Poutine.
Il prévient que "l’émergence d'un puissant bloc militaire à nos frontières sera perçue par la Russie comme une menace directe pour la sécurité de notre pays."
Les Etats-Unis sont toutefois favorables à l'idée d’une adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, alors que la France et l'Allemagne se montrent réticentes. Le sommet se termine sur une vague promesse que les deux pays pourront un jour rejoindre l’Otan.
Quatre mois plus tard, la Russie est en guerre contre la Géorgie.
Mais c’est l'Ukraine qui deviendra la plus grande obsession de Vladimir Poutine.
"Il est obsédé par le contrôle de l'Ukraine", rappelle Alexander Gabuev. "Il pense que sans le contrôle de l'Ukraine, la Russie n'est pas une grande puissance. “
En 2014, la Russie annonce l'annexion de la Crimée et les velléités séparatistes plongent l’est de l’Ukraine dans des années de conflit, jusqu’à déboucher sur l’invasion russe de février 2022.
Puissance mondiale
Xi Jinping arrive quant à lui au pouvoir en 2012 après une période de croissance économique fulgurante en Chine. Le parti communiste est néanmoins sous pression, en proie à de nombreux scandales.
Le président chinois se lance dans une féroce lutte contre la corruption, fait taire les voix qui gênent et fixe les objectifs à atteindre pour le centenaire de la Chine communiste en 2049.
"D'ici là, le parti s'efforce de faire de la Chine la première puissance mondiale", note Alexander Gabuev, mettant ainsi fin à "des siècles de domination mondiale de l'Occident".
Les résultats ont déjà été spectaculaires : la restriction des libertés à Hong Kong, le gigantesque projet d'infrastructure de la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative) et les menaces croissantes de s'emparer de Taïwan.
Les Etats-Unis ripostent, avec un consensus croissant à Washington : la Chine est un rival sur le plan commercial, un risque sur le plan technologique et une menace pure et simple sur le plan sécuritaire.
Ce bras de fer ne fait que renforcer la position de Xi Jinping. "Les pays occidentaux, sous la houlette des Etats-Unis, ont mis en œuvre un endiguement, un encerclement et une répression tous azimuts de la Chine", déclarait le président chinois en mars 2023, deux semaines avant sa visite au Kremlin.
La mission commune
De plus en plus, le parcours de Xi Jinping converge avec celui de Vladimir Poutine, à savoir la remise en cause de l’ordre mondial et de l’hégémonie américaine.
Les deux puissances se coordonnent régulièrement au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et dans d'autres instances internationales, qu'il s'agisse d'élargir les Brics, d'accroître leur influence en Afrique, de promouvoir la monnaie chinoise comme alternative au dollar américain ou d'œuvrer à la redéfinition de la démocratie et des droits de l'homme au sein du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies.
"Le point de vue russe est que les Etats-Unis veulent d'abord faire tomber la Russie et ensuite s'adresser à la Chine", selon Alexander Gabuev. "Ce n'est peut-être pas vrai, mais c'est malheureusement ce qui motive une grande partie de leurs calculs, y compris la guerre en Ukraine."
"L'aube de la troisième guerre mondiale"
La guerre en Ukraine a encore davantage rapproché les deux pays. La Chine est le principal soutien de la Russie, même si Pékin cherche à ne pas dépasser les lignes rouges capables de déclencher des sanctions internationales.
Cette posture témoigne des limites à la relation Chine-Russie, contrairement au "no limit" que Vladimir Poutine et Xi Jinping ont célébré à la veille de l'invasion de l’Ukraine. D’autant que les deux pays ne forment pas une alliance militaire à l’image de l’Otan.
Pour l'ancien colonel Zhou Bo, il s'agit là d'une preuve de la position responsable de la Chine. "Si la Chine apportait une aide militaire à la Russie, nous aurions probablement assisté à l'aube de la troisième guerre mondiale", estime-t-il. "C'est le pire des cauchemars."
Mais il existe d'autres moyens pour la Russie et la Chine de coopérer militairement.
"Imaginons que la Russie s'engage dans une escalade en Ukraine au moment où la Chine veut s'attaquer à Taïwan. Cela mettrait beaucoup de planificateurs de la défense américaine dans une situation difficile", analyse Alexander Gabuev.
La fin de la guerre en Ukraine
Même en l'absence de tels scénarios, il est de plus en plus évident que la Chine jouera un rôle clé dans la fin de la guerre en Ukraine.
La question centrale sera de savoir si l'Ukraine peut adhérer à l'Otan dans le cadre d'un éventuel règlement.
Ce serait une victoire pour l'autodétermination de Kiev. Et précisément le résultat contre lequel Vladimir Poutine s'est élevé à Munich en 2007.
Tout porte à croire que la Chine s'y opposerait également.
"La Chine n'est certainement pas favorable à une expansion de l'Otan", estime Wang Huiyao, directeur du Centre de réflexion sur la Chine et la mondialisation à Pékin. "Si l'Ukraine restait en dehors de l'Otan, il serait probablement plus facile de parvenir à une paix."
Pour l'instant, Vladimir Poutine parie sur une guerre longue. "Il est persuadé que le temps joue en sa faveur", d'après Alexander Gabuev. Le chef du Kremlin espère que sa mission commune avec Xi Jinping se révélera plus résistante que le soutien occidental à l'Ukraine.