Héritage et résilience dans le cinéma africain // En Israël, les partisans de la paix ne baissent pas les bras
Ils sont trois réalisateurs à participer à cette discussion organisée dans le cadre du 21ème Festival du Film africain de Cologne : Carlos Yuri Ceunick, du Cap Vert - son film "Omi Nobou" suit les derniers mois d'un vieil homme qui vit en ermite sur un rocher de l'archipel et explore la relation de l'humain à la solitude et à la nature.
Pascale Appora-Gnekindy, de la Centrafrique, présente son documentaire "Eat bitter" sur les destins mêlés d'un pêcheur de sable et d'un entrepreneur chinois à Bangui. Et Mamadou Dia, du Sénégal, dont le long-métrage "Demba" met en scène un fonctionnaire municipal confronté, entre autres, à l'arrivée des ordinateurs dans sa commune.
Trois films a priori sans point commun. Et pourtant, ils abordent - chacun à sa manière - la thématique complexe du deuil, de l'héritage et de la résilience... Je vous propose d'en découvrir deux d'un peu plus près...
Le deuil et la dépression dans "Demba"
Le plan de numérisation de l'état-civil présenté à l'équipe municipale de Matam, dans le nord-est du Sénégal, risque de mettre fin à la carrière de Demba, officier d'état-civil depuis près de 30 ans et à quelques mois de la retraite : son poste à l'accueil de la mairie va être équipé d'un ordinateur, le maire a déjà embauché un successeur...
C'est la fin d'une époque et un deuil pour Demba, celui de sa vie professionnelle et de son rôle dans la cité. Mais le personnage principal du long-métrage de Mamadou Dia fait face à un autre deuil, plus lourd encore : il a perdu sa femme deux ans auparavant et n'arrive pas à surmonter cette disparition, raconte le réalisateur :
"Demba souffre de cette phase du deuil qu'on appelle la dépression. C'est une phase du deuil qui est reconnue, qui a tous les signes de la dépression clinique. Et Demba en souffre et il n'arrive pas à la dépasser. Et ça, ça vient de mon expérience personnelle d'avoir perdu une mère et d'avoir vécu cette dépression sans le savoir."
Avec ce personnage surnommé "l'oncle grincheux" par les gamins de son quartier, Mamadou Dia a trouvé une manière de revisiter cet épisode douloureux de son adolescence.
Demba est en vie mais il est perdu, il a parfois des réactions que personne ne comprend. Il erre dans les rues de la ville ou dans sa maison, voit et parle avec Awa, son épouse défunte... Le réalisateur, aujourd'hui âgé de 40 ans, se souvient :
"Pour moi c'était beaucoup de silences, de lourdeur émotionnelle, de ne pas vouloir parler aux gens, de vouloir le cacher. Je n'ai pas fait de thérapie parce que je ne connaissais pas et c'est quand même surprenant que c'est presque 25 ans plus tard, quand j'ai découvert la *thérapie occidentale*, que je me suis rendu compte ou qu'on me l'a dit que j'étais dépressif quand j'avais treize ans."
Pour Mamadou Dia, le film "Demba" permet de parler de la dépression, un phénomène universel qui reste tabou malgré les avancées de la thérapie.
"Comme dans beaucoup de pays, au Sénégal aussi, depuis Covid, on parle beaucoup plus de santé mentale. Le film a été aussi fait pour créer la discussion, pour continuer le débat qui existe déjà. Et la chose que j'aime beaucoup, c'est qu'à chaque fois que ce film passe, les gens s'ouvrent eux-mêmes. C'est comme si on avait besoin de quelque chose pour en parler. On a besoin d'un prétexte. Et si ce film peut servir de prétexte, on est très content de cela."
Thomas le Centrafricain et Luan le Chinois, deux destins mêlés dans "Eat Bitter"
Faire un film pour faire changer le regard sur les choses ou les personnes... C'est aussi la démarche de la réalisatrice centrafricaine Pascale Appora-Gnekindy.
Le documentaire "Eat Bitter" tourné en coopération avec une consœur chinoise, Ningyi Sun, a deux personnages principaux : Thomas, un jeune Centrafricain qui plonge tous les matins dans l'eau froide de l'Oubangui pour en extraire des seaux de sable qu'il revend ensuite... à Luan, un chef de chantier chinois installé depuis dix ans à Bangui pour encadrer la construction de divers bâtiments dans la capitale centrafricaine.
Eat Bitter suit parallèlement ces deux personnages en apparence très différents qui affrontent avec courage les problèmes de vie quotidiens.
"Luan, il a laissé son enfant et sa femme en Chine. Il est venu. Il doit travailler dur pour pouvoir atteindre ses contrats, ses marchés, mais aussi gérer sa famille qui est qui est divisée. Il y a Thomas qui n'a pas de vie stable. Il ne fait que changer de femme de jour en jour, mais malgré ces problèmes de vie, ça ne les empêche pas à travailler pour subvenir à leurs besoins, pour pouvoir espérer vivre mieux, avoir une vie meilleure le lendemain."
Pour Pascale Appora-Gnekindy, le destin de Thomas et de Luan est étroitement lié au développement de son pays, la Centrafrique.
"L'autre aspect caché de ce film, c'est qu'on montre un peu la reconstruction économique de la Centrafrique par la construction de cette banque là que Luan dirige, mais que derrière les personnes qui travaillent derrière. Qu'est ce que ces personnes là sacrifient? Qu'est ce que ces personnes mettent en jeu pour que nous voyons des immeubles se construire?"
Des problèmes quotidiens pas si éloignés
La fragilité des personnages et leur force de résilience est révélée à plusieurs reprises dans le documentaire, par exemple lorsqu'un bulldozer de la ville détruit l'endroit aménagé par les pêcheurs de sable pour débarquer leur stock. Des dizaines de jeunes, dont Thomas, se retrouvent sans source de revenu du jour au lendemain. Ce qui a des conséquences aussi sur l'avancée du chantier dont Luan est responsable...
Mais chacun des personnages connaît aussi des moments de bonheur : Luan parvient à convaincre sa femme de le rejoindre à Bangui. Thomas, lui, réussit à s'acheter une pirogue et à envisager un avenir plus stable. Pour Pascale Appora-Gnekindy, ce documentaire vise aussi à donner une voix aux invisibles...
"Thomas, c'est quelqu'un qui n'a pas fait des études, qui n'est pas allé loin dans les écoles, dans l'école, mais intérieurement, il est une personne très riche. Pareil Luan, il s'est arrêté à l'école primaire, mais il a décidé de venir en Centrafrique pour donner à son enfant ce qu'il y a de mieux, ce qu'un père peut donner de mieux en fait. Et ça, c'est des choses qui méritent d'être racontées. Lorsqu'on a fait une projection, il y a quelqu'un qui a dit qu'après avoir vu ce film, il ne verra plus les les gens qui travaillent le sable de la même manière. Ça veut dire simplement qu'on a l'habitude de les regarder de haut, de les considérer comme des ratés de la société, mais que désormais, avec ce film, il va les voir autrement."
Après avoir été projetés dans leurs pays d'origine, "Eat Bitter", "Demba", mais aussi "Omi Nobu" ont rencontré un franc succès au Festival du film africain de Cologne.
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