Une nouvelle stratégie des terroristes au Mali ?
28 juin 2021L’attaque a fait au moins 12 blessés dont 3 grièvement. Cette nouvelle attaque visant les forces internationales présentes au Mali dans le cadre de la guerre anti-terroriste avait-elle pour principale cible les casques bleus allemands de la Minusma ? Les présumés groupes djihadistes ont-ils changé leur stratégie de lutte ?
Du temps et de l'expertise
Yehia Ag Mohamed Ali est chercheur, ancien ministre et membre de la Convergence pour le développement du Mali (Codem). Pour ce ressortissant du nord du Mali, les groupes armés ont gagné en maturité à travers les récentes attaques qui ont visé les éléments de la force Barkhane le lundi dernier (21 juin) et les casques bleus allemands quatre jours plus tard. Or il faut suffisamment de temps et de l'expertise aussi pour planifier une attaque à la victoire piégée avec un kamikaze au volant.
"On se rend compte qu'ils ont fait deux attaques du même type dans le nord du Mali à des endroits relativement éloignés. L'un à Gossi dans la région de Tombouctou et l'autre dans la zone de Tarkint dans la région de Gao. Le contingent allemand a été attaqué quand il escortait un contingent de l'armée constituée du Mali qui partait sur Kidal. L'attaque s'est donc produite pendant une petite halte. Ce qui voudrait dire que les terroristes ont aussi un système de renseignement relativement performant. Parce que pour saisir cette opportunité en un petit laps de temps, il faut être bien informés."
Pour Lamine Savané enseignant à l'université de Ségou, les présumés groupes terroristes n'ont pas de préférence entre les contingents qui composent la Minusma, la force Barkhane ou le G5 Sahel.
Selon lui, les forces terroristes en général, qu'il s'agisse d'Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), du Groupe de Soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) ou qu'il s'agisse de l'Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS), tous ont un point commun : celui de combattre les forces internationales qui représentent l'occident qui à leurs yeux prônent des valeurs qui sont contraires à l'islam".
Message à la France
Le chercheur et ancien ministre Yehia Ag Mohamed Ali estime que les présumés groupes terroristes entendent à travers ces attaques rondement menées faire passer un message à la France et à ses alliés dans un contexte marqué par la fin programmée de l'opération Barkhane et la suspension temporaire des opérations conjointes entre les forces armées maliennes et françaises.
Dangers de la mission de la Bundeswehr au Mali
Les douze soldats allemands blessés près de Gao dans un attentat-suicide, sont soignés depuis hier en Allemagne et leur état est stable, selon la ministre allemande de la Défense. Trois de ces soldats de la Bundeswehr ont été grièvement blessés dans l'explosion, survenue alors qu'ils étaient en train de sécuriser un convoi de l'armée malienne. Un soldat belge a lui aussi été blessé. Les opérations de déblayage sur les lieux de l'attentat sont terminées, tous les soldats qui y ont participé étaient de retour dimanche soir au Camp Castor.
Mais cette attaque relance les discussions, en Allemagne, sur les dangers de cette mission de la Bundeswehr au Mali. Plusieurs journaux allemands comparent ce matin la situation avec celle qui prévaut en Afghanistan.
À en croire Markus Kaim, chercheur de la SWP, analyse cette situation - extrait d'une interview accordée à nos confrères de Deutschlandfunk, "comme souvent, cette attaque nous montre qu'il faut que ces missions s'appuient aussi sur un partenaire sur place - le gouvernement malien en l'occurrence. L'objectif suprême de la mission est que les autorités maliennes soient en mesure d'assurer elles-mêmes la sécurité. Un peu comme en Afghanistan", soutient-il.
"Mais ce gouvernement malien est miné par la corruption et il est considéré par beaucoup comme illégitime. Il ne remplit plus ses devoirs et il faut reconnaître qu'on s'est arrangé avec cet équilibre précaire d'instabilité relative et d'aide internationale. La communauté internationale qui intervient sur place - l'ONU dans le cas présent - n'a pas assez de moyens de pression pour induire de véritables changements dans le pays", ajoute Markus Kaim. Le chercheur de la SWP ajoute que "cela est presque encore plus criant pour la seconde mission dans laquelle est impliquée l'Allemagne: celle qui est censée entraîner les forces de sécurité malienne. Pendant des années, on a formé près de 30 000 soldats maliens mais cette mission n'a rien apporté."
Retrait des troupes
Alexander Müller, spécialiste défense du parti FDP - membre de l'opposition - critique cependant ceux qui réclament le retrait des troupes allemandes du Mali, ce qui reviendrait, selon lui, à céder aux terroristes. "Il ne faut pas instrumentaliser non plus ce type d'attentat sanglant pour que la panique dicte les décisions politiques", déclare-t-il ce matin dans une interview à l'agence allemande dpa.
La Fédération des vétérans allemands déplore de son côté le manque de protection des soldats allemands en mission à l'étranger et elle réclame un meilleur équipement. Dans le cas du Mali, l'association avait déjà signalé il y a plusieurs semaines un manque d'hélicoptères pour évacuer les hommes dans les opérations de sauvetage. Dans le cas présent, seulement un hélicoptère de l'ONU, un hélicoptère de l'armée française et un hélicoptère civil ont pu intervenir pour prêter secours aux blessés... mais ils n'ont pu se poser qu'à 50km du lieu de l'attentat pour des raisons de sécurité. La Bundewehr, l’armée allemande est présente au Mali depuis 2013.