La ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, était en Tunisie avec son homologue français, Gérald Darmanin. Au cœur de leurs entretiens avec le président Kaïs Saïed et le ministre tunisien de l’Intérieur : la promesse de la France et de l’Allemagne de verser près de 26 millions d’euros à la Tunisie pour "mieux combattre l’immigration irrégulière" et "l’économie des passeurs".
A cette aide, aucune condition préalable n'est posée. Elle s’ajoute à celle déjà promise par l’Union européenne à un régime tunisien très controversé.
Wiebke Judith, porte-parole de l’organisation Pro Asyl pour les questions juridiques, explique pourquoi son ONG, qui vient en aide aux personnes migrantes en Allemagne, ne croit pas que ce nouveau partenariat avec la Tunisie soit réellement destiné "à mettre fin aux morts en Méditerranée", comme l’a affirmé la ministre allemande.
Interview avec Wiebke Judith de Pro Asyl
DW : Quelles critiques Pro Asyl formule-t-elle vis-à-vis de l'aide de la France et de l'Allemagne à la Tunisie ? Officiellement, il s'agit d'éviter les morts en mer...
Si l’Allemagne et l’Union européenne voulaient vraiment faire cesser les morts en Méditerranée, elles pourraient mettre en place une mission européenne de sauvetage pour venir en aide aux personnes qui sont en danger – et c’est le cas sur ces bateaux surchargés. On pourrait les sauver et les ramener en sécurité, sur la terre ferme, en Europe. Mais il n’y a pas cette volonté politique. C’est pourquoi ils cherchent des pays tiers, comme la Tunisie, ou la Libye, qu’ils payent pour que ces Etats retiennent les réfugiés.
DW: Pour vous, il s'agit en quelque sorte, du point de vue européen et allemand notamment, de se "débarrasser" du devoir d'aide et de protection des personnes migrantes?
On voit qu’on se concentre sur la Méditerranée pour stopper la migration. Sans doute en renforçant les garde-côtes tunisiens ou en donnant de l’argent pour que les frontières soient fermées plus hermétiquement. Et on assiste à un allongement de la liste des pays tiers considérés comme sûrs par l’UE, en direction desquels les Européens peuvent ensuite procéder à des expulsions.
DW : Des défenseurs des droits humains en Tunisie parlent d'une "criminalisation de l'émigration". Et de la non-reconnaissance d'un droit humain qui serait celui de pouvoir quitter un pays, quel qu'il soit.
Oui, c’est vrai. Il existe un droit reconnu internationalement qui garantit aux personnes le droit de quitter un pays. Et c’est une critique que nous formulons depuis longtemps face à cette politique européenne qui consiste à coopérer avec les garde-côtes libyens pour rattraper des personnes sur les bateaux en mer et les repousser sur les côtes et les conduire dans des centres fermés en Libye. Même si la situation n’est pas complètement aussi dramatique en Tunisie, il y a eu là-bas des violences racistes, il y a un président autocratique qui ne semble vraiment pas placer la protection des personnes migrantes et des réfugiés au cœur de sa politique. Alors c’est vraiment problématique de soutenir de genre de gouvernements en leur donnant de l’argent pour qu’ils empêchent d’autres personnes d’émigrer.