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Tribune : pour une meilleure santé africaine 

24 avril 2020

Le chercheur Abdoul Salam Bello de l'Atlantic Council appelle à profiter du coronavirus pour refonder les systèmes de santé en Afrique, à combler les inégalités et à repenser notre rappport à la nature.

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Coronavirus: un laboratoire à Bamako
Une chercheuse dans un laboratoire de BamakoImage : AFP/M. Cattani

"Le COVID-19 nous rappelle à quel point la santé, un des objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies, est au cœur de l’activité humaine.

La pandémie illustre et accentue les disparités, inégalités sociales et géographiques face à la santé.

Un petit état des lieux non exhaustif des problématiques de santé montre que le continent africain a de grands défis à surmonter. La sortie du COVID-19 appellera donc à un changement de paradigme. Cette pandémie posera la question du modèle social et de l’intégration africaine que nous voulons sur le continent. Enfin, elle nous interpellera sur notre rapport à la nature.

Trop peu d’investissements dans la santé en Afrique

Tandis que les regards se dirigent vers l’Afrique et sa capacité à faire face à la pandémie, il faut dans un premier temps rappeler que la moyenne des dépenses de l’Afrique subsaharienne avait triplé sur la période 2002-2011, passant de 27 à 90 dollars avant d’amorcer une baisse entre 2014-2016.

Avec une population qui représente environ 17% de la population mondiale, le continent africain ne représente qu’1% des dépenses globales de santé. Il consacre environ 5% de son PIB à la santé, ce qui est la moitié de la moyenne mondiale. En 2017, la moitié des pays de l’Afrique subsaharienne ont consacré moins de 50 dollars en dépense de santé par habitant et par an. En comparaison, l’Allemagne y consacre 5.000 dollars par habitant et par an.

Environ 12% de la population mondiale (plus de 800 millions de personnes) dépensent au moins 10% de leur budget pour payer les soins de santé pour elles-mêmes, un enfant malade ou un autre membre de la famille.

Le chercheur Abdoul Salam Bello
Le chercheur Abdoul Salam BelloImage : Privat

Pauvreté et manque de soins

Ce niveau de dépenses plonge 100 millions de personnes chaque année dans une situation d’extrême pauvreté où elles n'ont tout au plus que 1,90 dollar par jour pour vivre. En Afrique, ces dépenses font basculer 11 millions de personnes dans la pauvreté tous les ans.

L’aide internationale reste encore importante pour de nombreux pays. En 2017, la contribution des donateurs s’élevait à 20% des dépenses de santé dans une vingtaine de pays d’Afrique.

Les faux médicaments

Un autre angle à analyser est la question des faux médicaments. Le continent produit moins de 2% des médicaments qu’il consomme. Ses importations de produits pharmaceutiques coûtent un peu plus de 14 milliards de dollars par an. Alors que près de 10 % des médicaments vendus dans le monde sont des faux, en Afrique, de 2013 à 2017, ce chiffre s’élevait à 42 % des produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiés selon l’OMS.

Les pays africains ont besoin d’un soutien budgétaire exceptionnel, à la hauteur de l’impact humain de la pandémie et des conséquences sanitaires, économiques et sociales.

Covid-19: une artiste locale produit des masques au Kenya
Covid-19: une artiste locale produit des masques au Kenya Image : Getty Images/AFP/T. Karumba

Surmonter la pandémie et ses répercussions

Dans l’immédiat, il s’agira de contenir la propagation du virus, protéger les populations, atténuer l'impact économique global et promouvoir une reprise rapide pour éviter que les pertes économiques ne deviennent permanentes.

A moyen terme, les Etats auront à se focaliser sur la redéfinition de leurs politiques publiques en faveur d’un renforcement des systèmes de santé, d’un développement et d’une mise à l’échelle des instruments de protection sociale et de promotion de l’inclusion, autant de mécanismes nécessaires à la prévision de chocs futurs. N’oublions pas qu’une population en bonne santé est fondamentale à la croissance économique et au développement durable.

Un prêtre se protège, à la cathédrale orthodoxe d'Addis Abeba
Un prêtre se protège, à la cathédrale orthodoxe d'Addis AbebaImage : picture-alliance/AP Photo/M. Ayene

Aller plus loin
Sur le plan budgétaire, il faudra redéfinir les stratégies de mobilisation de ressources nationales et le dialogue avec les partenaires afin d’assurer la prévisibilité des financements (tant nationaux qu’internationaux) dédiés à la santé.

Grâce à une série de réformes nationales et initiatives régionales et internationales, le continent a amélioré sa capacité de mobilisation fiscale. Ses efforts ont permis d’augmenter le niveau de collecte à 19,3% du PIB en 2015.

Toutefois, beaucoup reste encore à faire. Le continent accuse un déficit de financement du secteur de la santé d’environ 66 milliards de dollars par an.

Les coûts du service de la dette ont un impact important sur l’espace budgétaire des pays. Cette problématique est encore plus exacerbée pour certains pays qui font face à une menace sécuritaire. Dans certaines régions comme au Sahel, les pays ont été amenés à multiplier par quatre leurs dépenses de sécurité entre 2013-2018.

Et la dette ?

Dans ce contexte, la question de la dette des Etats africains est cruciale. Au cours des deux dernières décennies, les pays d'Afrique subsaharienne ont souvent utilisé le levier de la dette pour financer leur développement.

Toutefois, une plus grande utilisation d’emprunts à des taux commerciaux a augmenté le coût du service de la dette. Selon la Banque mondiale, en 2018, les pays d’Afrique subsaharienne ont remboursé 35,8 milliards de dollars au titre du service de la dette (2,1 % du PIB régional).

En 2018, la dette publique externe des pays d'Afrique subsaharienne s'élevait à 365 milliards de dollars. En 2019, le niveau moyen de la dette en Afrique subsaharienne avoisinait 57 % du PIB de la région.

La décision du G20 de suspendre la dette de 76 pays les plus pauvres, dont 40 pays d’Afrique subsaharienne, permettra de libérer 20 milliards de dollars de liquidités. Le geste est fort. Cela dit, le moratoire ne signifie pas une annulation de la dette. Pour certains pays, elle pourra même être assortie de pénalités de retard. Par ailleurs, la dette privée sera plus difficile à renégocier.

Le rôle du secteur privé est crucial

La question de la dette dans le contexte du COVID-19 pose la question des stratégies de mobilisation de ressources des pays, d’une part ; ainsi que de leurs investissements, d’autre part.

Au cours de la crise d’Ebola, la plateforme de partenariat entre l’Union africaine et le secteur privé a permis de mobiliser 30 millions de dollars.

Le secteur privé a donc certainement un rôle plus important à jouer dans cette crise, au-delà de la réponse immédiate. Il s’agira de promouvoir les flux d’investissements pour le financement de la recherche, le renforcement des capacités, la production de produits pharmaceutiques et les innovations en matière de santé numérique.

La mise en œuvre de la zone de libre échange continentale africaine offre également une opportunité. La progression démographique conduira à un accroissement des besoins de santé.

Distribution de gants en Afrique du Sud contre le coronavirus
Distribution de gants en Afrique du Sud contre le coronavirusImage : picture-alliance/AP Photo/T. Hadebe

L’Afrique : des débouchés pour la santé mondiale

D’ici 2030, 14 % des débouchés commerciaux en santé mondiale seront en Afrique avec des opportunités commerciales dans le secteur des soins de santé et du bien-être estimées à 259 milliards de dollars (le deuxième plus grand marché après les Etats-Unis) et un potentiel de créer 16 millions d'emplois.

La nouvelle stratégie pour la santé en Afrique (2016-2030) qui vise à remobiliser les Etats en faveur d’une gouvernance plus efficace des systèmes de santé avec le financement comme pilier clé pour renforcer toutes les prestations de services sociaux, y compris l'accès universel aux soins de santé est une étape importante en ce sens.  

Un nouveau rapport avec la nature

Enfin si l'on veut éviter que l'Histoire se répète, on doit se rappeler que cette crise trouve sa source dans le déséquilibre entre le marché et la nature.

Au-delà du modèle social, il nous faut repenser un contrat naturel et social entre l’humain et la Nature. Rappelons que chaque année, environ 125.000 milliards de dollars (l'équivalent de 1,5 fois le PIB mondial) de services écosystémiques sont fournis à l'économie mondiale.

Pour une meilleure santé des Africains, la réponse se doit d’être globale et inclusive.

Abdoul Salam Bello

Chercheur principal, Atlantic Council"

 

Ces propos n’engagent que leur auteur

 

Ouvrages publiés

  • La régionalisation en Afrique : Essai sur un processus d’intégration et de développement (L’Harmattan, 2017) ;
  • Les Etats-Unis et l’Afrique : De l’esclavage à Barack Obama (L’Harmattan, 2019)