Tout est encore possible
9 septembre 2013Dur, dur pour le principal adversaire d'Angela Merkel. Peer Steinbrück est pourtant l'homme de la situation. Spécialiste en économie, il sait précisément quelles sont les contraintes du budget de l'Etat fédéral. Peer Steinbrück a été ministre des Finances au sein du gouvernement de grande coalition d'Angela Merkel. Et désormais il veut prendre la succession de son ancienne patronne. Il veut devenir chancelier. Pourtant, le duel n'est pas équilibré. Peer Steinbrück mène un combat perdu d'avance, c'est en tout cas l'impression qui est donnée. Dans les sondages, il fait mauvaise figure face à la chancelière lorsqu'il est directement comparé à elle. Et ce, depuis le jour où il a été désigné candidat de son parti.
À cela, il y a beaucoup de raisons. Angela Merkel est actuellement à l'apogée de son succès, elle mène son parti d'une main de fer et impose sa gestion de la crise à Bruxelles. La majorité des Allemands l'admirent et la respectent pour cela. De ce point de vue, le SPD et son candidat Steinbrück ont peu de chances d'arriver à lui tenir tête. « Le SPD parle de tout ce qui ne va pas », explique Christoph Moss, expert en communication. Mais selon lui, les électeurs potentiels du parti ont envie de plus que ça. Autre raison pour laquelle cela ne fonctionne pas : « Les Allemands sont très satisfaits en ce moment ». Les électeurs veulent donc d'autant plus savoir ce que Peer Steinbrück et son parti comptent vraiment apporter de plus en cas de victoire.
Quand la politique de Schröder favorise Merkel
Pourtant, Peer Steinbrück et le SPD auraient vraiment quelque chose à offrir aux électeurs en la matière. Même si cela serait difficile à faire accepter. Il s'agit de l'« Agenda 2010 », le programme de réformes de Gerhard Schröder, le prédecesseur social-démocrate d'Angela Merkel à la chancellerie. Les experts considèrent qu'il est la véritable force de l'Allemagne dans le contexte actuel de crise économique mondiale. C'est avec ces réformes que le social-démocrate Schröder a réduit l'action de l'État social, alors même que son propre parti s'y opposait farouchement. Ainsi, les cotisations aux systèmes d'assurance sociale ont augmenté, les allocations chômage ont diminué, l'âge de la retraite a été repoussé... Et ces mesures drastiques ont principalement touché l'électorat traditionnel du SPD. Conséquence : de nombreux membres du parti ont rendu leur carte et les militants ne se sont pas déplacés pour les élections.
Pour Edgar Wolfrum, le SPD est aujourd'hui miné par sa mauvaise conscience. Cet historien, qui enseigne à l'université de Heidelberg, dans le Bade-Württemberg, a étudié de près l'ère Schröder. « Le problème, c'est que le SPD s'éloigne des choses qu'il a accomplies à la tête du gouvernement. » Ce qu'Edgar Wolfrum appelle la « délégitimisation de la politique pratiquée entre 1998 et 2005 ». Peer Steinbrück était et reste un partisan de cette réforme de l'État social, qui est apparue depuis comme inévitable aux yeux de tous les partis, tous bords politiques confondus. Paradoxalement, cette réforme trouve plus de soutien chez les partis populaires qu'au sein SPD. Et c'est Angela Merkel qui profite aujourd'hui du fait que le SPD ait rendu l'Etat plus fort pour affronter la crise.
Le combat pour le centre
Des différences entre les programmes des partis, il y en a. Le SPD souhaite introduire un salaire minimum de 8,50 euros, la CDU/CSU n'en veut pas. En effet, les partenaires sociaux doivent fixer seuls les salaires minimum, sans tenir compte de la législation. En ce qui concerne les impôts, le SPD veut faire passer les riches à la caisse. L'Union, elle, veut réduire la dette de l'État fédéral et dépenser plus, tout en renonçant à des hausses d'impôts. Les objectifs des deux grands partis allemands sont donc différents. Pourtant, dans l'ensemble, c'est la politique du centre qui prévaut dans les programmes électoraux. La chancelière a intitulé son programme « Maß und Mitte », littéralement « mesure et centre ». Et d'ajouter qu'avec elle, il n'y aura « pas de charges supplémentaires ni pour les Allemands, ni pour l'industrie ».
Comme presque tous les partis souhaitent conquérir le centre, ils se différencient moins facilement. C'est ce que constate Wolfgang Raike, consultant en relations publiques à Hambourg. « Aujourd'hui il n'y a plus de polarisation ». On est loin de l'époque où il était question de « la liberté, pas le socialisme ». C'était slogan de campagne de la CDU/CSU en 1976... Même le nucléaire n'est plus un sujet controversé depuis Fukushima.
Le programme, c'est elle
C'est pratique pour Angela Merkel. La chancelière ne convainc pas par ses positions politiques, mais par son attitude. Elle s'exprime peu et sans faire trop de vagues. Constamment maîtresse de ses émotions, elle cultive une certaine économie dans ses gestes... surtout dans la position typique de ses mains en forme de losange, ses pouces venant s'appuyer l'un contre l'autre, de même que ses index. « Elle est assez normale », résume l'historien Edgar Wolfrum sur la personnalité que dégage la chancelière à la veille d'un possible troisième mandat. « Elle ne sort pas du lot, elle est dans la moyenne », estime Edgar Wolfrum, « ce qui permet à tout le monde de s'identifier. C'est la recette de son succès. Le programme, c'est elle ».
Une grande coalition pour sortir de l'impasse
Angela Merkel n'est assurée de rester à la chancellerie que si les Libéraux – ses actuels alliés de coalition – passent la barre des 5% de votes. Si tel n'était pas le cas, Angela Merkel et la CDU/CSU prendraient la place du perdant de la soirée, même s'ils obtiennent un bon résultat d'environ 40% des suffrages et surtout si le SPD et les Verts récoltent à eux deux plus de suffrages que la CDU/CSU.
Paradoxalement, même le résultat le plus mauvais de l'histoire du SPD pourrait permettre à Peer Steinbrück de devenir chancelier... à condition que les Verts aient le vent en poupe et obtiennent entre 15 et 20% des voix. Si le FDP ne passe pas le seuil des 5% et qu'une coalition rouge-verte est exclue, alors la seule issue sera de faire une grande coalition... peu appréciée, mais efficace quand il s'agit de faire passer des lois. Gouverner sans majorité claire reste cependant une solution d'urgence. Ce qui a très bien fonctionné entre 2005 et 2009 avec le tandem Angela Merkel à la chancellerie et Peer Steinbrück aux Finances.
L'abstention a la cote
Plus encore qu'une grande coalition, c'est l'abstention que tous les partis redoutent. Le groupe des abstentionnistes est statistiquement le plus grand parmi les citoyens allemands en âge de voter. Son effectif a d'ailleurs plus que triplé dans les années 70. Lors des dernières élections fédérales en 2009, environ 30% des électeurs ont refusé de cocher quoi que ce soit sur leur bulletin de vote. Pour les élections au Landtag, le parlement de chaque Land, jusqu'à 40% d'entre eux ont même opté pour l'abstention. Si les jeunes électeurs étaient, à l'origine, les premiers susceptibles d'ignorer les élections, de récentes études montrent que les abstentionnistes se situent désormais dans toutes les classes d'âge.
Parmi les abstentionnistes de longue durée, on trouve étonnamment beaucoup de personnes d'un certain âge. « Une situation sociale critique pour le résultat électoral » selon Dietmar Mothagen, directeur des études sociales sur le SPD auprès de la Fondation Friedrich Ebert. « Lorsque certains groupes d'électeurs dédaignent les élections, leurs intérêts sont évidemment d'autant moins représentés ». Le 22 septembre, pour la première fois de l'histoire de la République fédérale, les abstentionnistes pourraient devenir le parti le plus puissant d'Allemagne.