Incertitude sur le processus politique en cours au Tchad
29 février 2024Pour l'heure, il n'a pas été communiqué de bilan fiable des violences d'hier [28.02.24] à N'Djamena, mais le décès de Yaya Dillo, le président du Parti socialiste sans frontières, a été confirmé. Cette mort de Yaya Dillo émeut fortement, au Tchad. D'autant que ses circonstances restent nimbées de flou. La communication gouvernementale peu précise est critiquée, aujourd'hui, car elle entretient un climat délétère à quelques semaines des élections.
Calme incertain à N'Djamena
Ce jeudi [29.02.24], le centre-ville de N’Djamena était encore marqué par une forte présence militaire. Mais les quartiers périphérique, eux, ont retrouvé ce matin une vie normale, même si les événements d’hier risquent d’avoir un impact sur le processus électoral les mois prochains.
Le siège de l'Association jeunesse pour la non-violence au Tchad (AJPNV) est situé dans le 7è arrondissement de N’Djamena et son président, Nodjigoto Charbonnel, témoigne d’un retour à la normale :
"Les gens qui travaillent au centre-ville, beaucoup ne sont pas allés au bureau de peur de voir ce qui s’est passé hier se répéter aujourd’hui, déclare Nodjigoto Charbonnel. Beaucoup de mes amis ont refusé d’aller au bureau à cause de la situation sécuritaire qui n’est pas maîtrisable. Mais dans notre quartier, les boutiques sont ouvertes, les alimentations, les écoles sont ouvertes. Les gens sont allés à l’école, parce que les choses se sont déroulées au centre-ville, près de l’aéroport et de la présidence. Les quartiers périphériques ne sont pas très touchés."
Décès de Yaya Dillo confirmé
Le décès de Yaya Dillo, le président du Parti socialiste sans frontières a été confirmé.
Des photos du cadavre de Yaya Dillo avec ce qui ressemble au trou d’une balle dans la tête circulent sur internet.
Max Loalngar, avocat et président de la Ligue tchadienne des droits de l’Homme, vit en exil. Il est aussi l’un des porte-parole de la Coordination des actions citoyennes Wakit-Tama et a connu Yaya Dillo. Il fait part de sa tristesse :
"Pour nous qui avions cheminé avec lui dans les rues pour réclamer la dignité de l’Homme tchadien, c’est presque une mort à nous tous. Il revient vraiment au gouvernement de dire au peuple tchadien ce qui s’est passé."
Une communication gouvernementale lacunaire
Beaucoup dénoncent en effet les insuffisances de la communication du gouvernement et du parti MPS au pouvoir. Plusieurs annonces et communiqués ont été publiés sans qu'il soit possible de reconstituer avec précision le déroulement des faits. Les seules informations sont celles de Yaya Dillo lui-même qui a publié un audio sur internet durant le siège de son parti.
Yaya Dillo était certes un cousin de Mahamat Déby Itno, le président de la transition, mais c'était aussi un opposant farouche.
Baïdessou Soukolgue, juriste et politologue tchadien, rappelle la liberté de ton de Yaya Dillo qui dérangeait, tout comme le récent ralliement au PSF d'un frère du défunt président Idriss Déby Itno – la "goutte de trop", selon lui :
"Ajouté à son désir de se présenter contre le président de la transition, tout en alléguant ouvertement l'inéligibilité de ce même président de la transition, sur la base d'une résolution du Conseil sécurité et paix de l'Union africaine, tout cela pourrait avoir contribué à son assassinat."
Tradition de la violence en politique
La violence fait partie intégrante de la politique tchadienne depuis l'indépendance du pays, rappelle le politologue.
La répression ainsi que plusieurs assassinats politiques et mouvements de rébellion armée ont marqué la vie du Tchad ces dernières années.
"Evidemment, la transition en cours n’était pas parfaite, reconnaît Baïdessou Soukolgue, mais les autorités semblaient avoir le contr1ole de la situation. Et avec le chronogramme annoncé pour les élections, on pensait sortir de cette transition et repartir vers un nouveau cycle politique mais il se trouve que cet assassinat survient au dernier moment et certainement que ces événements marquant un recul de la démocratie, ils vont avoir un impact sur la confiance de la population et donc des électeurs dans le processus de transition en cours et aussi dans les élections qui arriveront très bientôt, à commencer par les élections présidentielles"
La journée d'hier aura donc, selon Baïdessou Soukolgue, "un impact sur la confiance de la population et donc des électeurs dans le processus de transition en cours et aussi dans les élections qui arriveront très bientôt, à commencer par l'élection présidentielle", annoncée pour le 6 mai prochain.
Mais pour Max Loalngar, avocat et président de la Ligue tchadienne des droits de l'Homme, les conditions ne sont pas réunies pour ces scrutins :
"On a très vite concocté des textes sans respecter les principes de transparence et de clarté. Sans non plus que le peuple tchadien, qui a vécu longtemps dans un système d’exclusion et de clientélisme puisse trouver ses marques à travers des institutions mises en place à la va-vite. L’Agence nationale de gestion des élections ou le Conseil constitutionnel ont été mis en place sans le consensus nécessaire à toute transition entre les différents acteurs de la vie politique tchadienne."
Max Loalngar estime donc qu'il "est prématuré de parler des élections. Il reste des questions en suspens telles que la participation des acteurs de la transition à ces élections et le fait que cette transition devrait prendre fin absolument."
Dialogue et transparence
Nos interlocuteurs recommandent d'abord une prise de conscience des acteurs politiques et sociaux tchadiens, puis un dialogue transparent.
Ce dont la population tchadienne a besoin, d'après Max Loalngar, "c’est [d'] un dialogue sincère, qui fasse asseoir tous les fils et toutes les filles du pays autour d’une table, sur des critères consensuels arrêtés, dans la transparence, pour que nous puissions parler du développement de ce pays. Alors que ce à quoi nous assistons est une sorte de fuite en avant, de façon dictatoriale.
Mais ils attendent aussi des partenaires du Tchad qu'ils condamnent les violences d'hier : la République démocratique du Congo, qui a porté la médiation de la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale. Et aussi les partenaires internationaux du Tchad, tels que la France, jugés trop silencieux.