Tchad, procès de masse de manifestants... sans les avocats
28 novembre 2022L’audience pour juger les manifestants arrêtés depuis le 20 octobre au Tchad se tiendra sans leurs avocats. Ceux-ci ont demandé au ministère de la Justice de mettre à leur disposition une escorte leur permettant de faire le voyage en sécurité. Mais une nouvelle fois, comme après l’arrestation des jeunes manifestants le 20 octobre, le gouvernement tchadien n’a pas fourni ces moyens.
En effet, la prison de Koro Toro est située en plein désert et le voyage sans escorte policière peut s’avérer dangereux.
"Le Barreau a fait diligence. Le Conseil de l'ordre a fait diligence auprès du ministère de la Justice pour que la tâche soit facilitée aux avocats, dans le but de se rendre à Koro Toro pour défendre les détenus. Personne ne voulait nous entendre. Personne ne voulait écouter les doléances du Conseil de l'ordre," a déclaré à la DW Maître Francis Lokouldé, du bureau de l'ordre des avocats.
Les avocats du Tchad ont "décidé à l'unanimité de boycotter ces audiences et par la même occasion de cesser toute activité durant cette période du procès de Koro Toro", conclut Maitre Francis.
Inquiétudes des ONG internationales
Le procès se déroulera donc en l'absence des avocats mais aussi de tout observateur extérieur. Ce qui inquiète Isidore Ngueuleu, conseiller principal pour l’Afrique à l’Organisation mondiale contre la torture.
"C'est à dire que les personnes accusées n'ont pas d'avocat, qu'il n'y a pas un regard extérieur notamment des organisations non gouvernementales. Tout cela ne garantit en rien que ces personnes vont bénéficier d'un procès équitable, respectant notamment leur droit à la défense", déplore-t-il.
Vice de forme
Autre problème soulevé par les avocats mais aussi par Amnesty international et l’Organisation mondiale contre la torture : la tenue du procès devant une juridiction de N’Djamena siégeant en dehors de son ressort territorial.
Pour Isidore Ngueuleu les autorités tchadiennes tiennent à faire ce procès à Koro Toro, une prison de haute sécurité, pour corroborer la thèse de l’insurrection.
"Il y a un acharnement terrible contre les personnes et une volonté de faire croire que les personnes qui ont été arrêtées, et ça c'était dit dès le début, avaient voulu faire une insurrection. On voit finalement que les charges qui sont retenues n'ont absolument rien à voir avec une insurrection. On pense en fait que l'Etat tchadien est un peu dos au mur. Il fait un peu ce procès pour la forme, pour confronter les gens à la théorie qu'il a lui-même élaborée dès le début et qui en fait contraste avec la réalité des faits", explique le conseiller principal pour l’Afrique à l'Organisation mondiale contre la torture.
Les 401 détenus sont poursuivis notamment pour "attroupement non autorisé", "destruction de biens", "incendie volontaire", "violence et voies de faits" et "trouble à l'ordre public.
Le rôle de la communauté internationale
Maitre Adoum Mahamat Boukar de la Ligue tchadienne des droits de l'Homme réclame l'aide de la communauté internationale pour faire pression sur les autorités politiques.
"C'est la suite logique de la perquisition que nous dénonçons et nous demandons que les partenaires du Tchad agissent, fassent pression sur le gouvernement afin que ces gens soient libérés."
Ce procès se tiendra sans les avocats mais aussi sans les familles des détenus. Nous avons tenté d’avoir une réaction du gouvernement tchadien, mais notre demande est restée sans suite.