Près de 200 morts en trois jours au Soudan
17 avril 2023Depuis samedi, Khartoum disparaît sous d'épaisses colonnes de fumée noire. La capitale soudanaise baigne dans une odeur de poudre. Les habitants sont barricadés chez eux sans eau courante ni électricité, pour la plupart. Selon le syndicat officiel des médecins, près d’une centaine de civils ont été tués. La moitié d’entre eux auraient été tués à Khartoum même.
Le chef de la mission de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, évoque lundi soir [17.04.23] plus de 180 morts et 1.800 blessées ces trois derniers jours : "la situation est très changeante. Il est difficile d'évaluer dans quel sens l'équilibre évolue", a-t-il déclaré à la presse depuis Khartoum, après une intervention à huis clos devant le Conseil de sécurité.
Le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) a dit se tenir "prêt" à aider le Soudan.
Témoignage depuis Khartoum
Christine-Felice Röhrs, représentante au Soudan de la fondation allemande Friedrich Ebert témoigne auprès de la DW de ce qu’elle vit actuellement sur place.
"Cela va faire trois jours que les combats durent. Pendant la nuit, du moins dans notre zone, c'était plus calme que la nuit dernière. Mais le bruit de l'artillerie et des avions a recommencé vers quatre heures ce matin. Nous entendons des combats dans au moins deux zones qui sont autour de nous. Cela reste extrêmement préoccupant car il s'agit encore d'une sorte de guerre civile sans grande considération pour la vie de millions de civils dans la plus grande ville du pays. Et les combats se déroulent devant les habitations des gens, sur les routes que les enfants empruntent pour aller à l'école, dans les supermarchés où les gens font faire leurs courses. Presque toute la vie normale est interrompue pour le moment.".
Un conflit prévisible
Depuis deux jours, les combats à l'arme lourde n'ont pas cessé et l'armée de l'air vise régulièrement, même en plein Khartoum, les bases des Forces de soutien rapide, les FSR, d'anciens miliciens de la guerre du Darfour devenus les supplétifs officiels de l'armée.
Pour Thierry Vircoulon, coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut français des relations internationales, ce qui se passe au Soudan s’explique par le fait que depuis la chute du président El Béchir, il y a deux "rois" au Soudan.
Le chercheur rappelle que ces dernières années, le pays était dans unesituation de pouvoir partagé entre deux hommes : le dirigeant du pays, le général Abdel Fattah al-Burhane, et le général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", à la tête des FSR.
"On a senti monter la tension ces dernières années entre les deux hommes qui sont tous les deux à la tête de forces considérables, explique Thierry Vircoulon. On voyait qu’ils vivaient tous les deux dans une situation de rivalité même s’ils faisaient semblant de s’entendre. Et ils avaient fait cause commune contre le gouvernement de Abdallah Hamdok, mais il est clair que depuis un certain temps, il fallait trancher cette rivalité et qu’il ne pouvait pas y avoir deux maîtres militaires au Soudan."
"Quand le Soudan éternue, le Tchad s’enrhume"
Samedi dernier, le Tchad a annoncé la fermeture de sa frontière avec le Soudan.
Yamingué Betinbaye, analyste politique, directeur de recherche au Centre de recherches en anthropologie et sciences humaines, rappelle que le Soudan possède une longue frontière avec le Tchad et la République centrafricaine.
Les trois pays se partagent dans ces zones des communautés qui vivent de part et d’autre des frontières.
"Si on prend le cas du Tchad et du Soudan, ce sont des pays qui ont cette particularité d’une migration très forte des populations de part et d’autre, rappelle Yamingué Betinbaye,. Le Tchad a presque aussitôt fermé sa frontière parce que la circulation des peuples reste quelque chose de très facile entre les deux pays. Et si ces mesures conservatoires n’étaient pas prises à temps, peut être que le débordement du conflit soudanais sur le Tchad aurait des conséquences beaucoup plus dommageables. "
Frontières communes
S’agissant de la République centrafricaine, à l’image du Tchad, la collaboration entre les deux pays permettait de limiter cette fois la circulation des groupes rebelles entre les deux pays, des groupes qui ont souvent le Soudan comme base arrière, souligne Yamingué Betinbaye. Le chercheur pense qu'une sécurisation de cette frontière "permettait de contenir le péril dans l’extrême nord de la Centrafrique, à la frontière avec le Soudan. Maintenant, un Soudan fragile, c’est aussi un Soudan qui aura des frontières relativement poreuses et donc un Soudan qui redeviendrait une base arrière pour des groupes armés centrafricains hostiles au pouvoir de Bangui. "
Tentatives de médiation
Le secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres, a appelé à la cessation immédiate des hostilités dans le pays.
L'Autorité intergouvernementale pour le développement, un groupement régional en Afrique de l’est, envisage d'envoyer les présidents du Kenya, du Soudan du Sud et de Djibouti au Soudan pour tenter de réconcilier les deux généraux qui se battent actuellement dans le pays.