Le Sénégal vers une dissolution de l'Assemblée nationale ?
3 septembre 2024Au Sénégal, l'Assemblée nationale a retoqué le projet de loi sur une modification partielle de la Constitution. En réalité, il s'agissait de tenir une promesse de campagne du président Bassirou Diomaye Faye, concernant la suppression de deux institutions considérées comme trop onéreuses par le gouvernement : le Conseil économique, social et environnemental et le Haut conseil des collectivités territoriales.
Le vote des députés a été assez serré : 83 voix contre le texte et 80 voix pour.
Mais les débats mouvementés, au Parlement, ont dépassé bien vite le simple sort de ces deux organes hérités de l'ère Macky Sall. Ils se sont commués en joute politique entre les partisans du nouvel exécutif et les élus de l'ancienne majorité. Les échanges ont été musclés, au point que les gendarmes ont dû évacuer le public. Un député d'opposition a annoncé le dépôt, bientôt, d'une motion de censure contre le Premier ministre Ousmane Sonko.
Selon le journaliste sénégalais Hamadou Tidiane Sy, désormais, la dissolution prochaine de l'Assemblée paraît de plus en plus probable.
Hamadou Tidiane Sy est le directeur de l'E-jicom, une école de journalisme et de communication à Dakar et le fondateur du site d'information sous-régional Ouestaf News. Ecoutez ci-contre son analyse.
Interview d'Hamadou Tidiane Sy
DW : L'Assemblée nationale a donc rejeté une proposition qui émanait de l'exécutif, un projet de loi de modification de la Constitution sénégalaise. La suppression de deux institutions était au cœur des débats, au moins au début. Pourquoi la suppression du Conseil économique, social et environnemental et du Haut Conseil des collectivités territoriales a été si problématique dans les discussions?
En réalité, on parle de révision de la Constitution il ne s'agit pas d'une révision globale de la Constitution, juste de ces deux points spécifiques, à savoir la suppression de ces deux institutions-là, le Conseil économique, social et environnemental et le Haut Conseil des collectivités territoriales.
Pour le gouvernement, l'argument, c'était que ce sont des organisations budgétivores, donc qui coûtent beaucoup à l'Etat et que les ressources pourraient être utilisées ailleurs. C'était une promesse électorale de s'occuper plus du sort des citoyens que de faire vivre des institutions politiques qui, au fond, ne portent rien.
DW : C'était un symbole, une mesure qui était censée incarner cette volonté d'économie…
Voilà. Mais justement, dans le camp de l'opposition, qui détient encore la majorité dans le Parlement, l'argument qui a fait qu'on a rejeté est simple.
C'est d'abord qu' ils attendent une déclaration de politique générale du Premier ministre qui n'est toujours pas faite. Ça, c'était, je crois, un des arguments qui a été avancé par quelques-uns des députés.
L'autre argument, c'est que si on doit changer la Constitution pour rationaliser ou pour faire des économies sur le budget, il y a d'autres promesses électorales qui devraient accompagner cette réforme. On a parlé de certains fonds, notamment les fonds politiques du président de la République, du Premier ministre. Donc, le débat a porté essentiellement sur ça.
Les gens de l'opposition disaient : "Là, c'est juste politique parce que ce sont des institutions que nous avions mis en place et que nous contrôlons. Vous voulez les dissoudre pour des raisons politiciennes et non parce que vous voulez économiser quoi que ce soit, parce qu'il y a d'autres promesses électorales qui avaient été faites pour économiser sur le budget et qui ne sont pas contenues dans ce projet de loi."
DW : Le groupe parlementaire favorable à Bassirou Diomaye Faye parle éventuellement d'un référendum pour consulter la population, voire d'élections législatives anticipées. Est-ce que ça veut dire qu'on va vraiment vers une dissolution, selon vous?
Ah oui, c'est fort possible. Je pense que c'est vrai, c'est un premier revers pour ce gouvernement.
La dissolution, on en parlait bien avant le rejet de cette proposition de loi. Je crois que le président avait lui-même demandé au Conseil constitutionnel son avis pour savoir à partir de quelle date il pourrait dissoudre l'Assemblée.
Et je crois qu'il avait reçu un avis favorable qui disait que durant ce mois de septembre, lorsque l'Assemblée aurait déjà complété ses deux premières années, il aurait les mains libres sur l'Assemblée.
Donc je crois que c'est probablement là où on s'achemine. Maintenant, la grande question qu'on se pose, c'est qui va voter le budget?
D'habitude, la session budgétaire démarre en octobre. Si on dissout l'Assemblée, ça veut dire être dans une course pour les législatives. Ça, ça risque de mettre le Sénégal dans une situation assez inédite quand même pour ce pays.
DW : … Le risque c'est qu'il n'y ait pas de budget voté et donc qui entre en vigueur au 1ᵉʳ janvier 2025 ?
Absolument.
DW : Est-ce que la vivacité de ce débat, c'est un bon signe pour la démocratie sénégalaise ou est-ce que ça veut dire que la coalition actuellement au pouvoir a du mal à discuter avec celle qui soutenait Macky Sall ?
Les deux explications sont valables. Premièrement oui, je crois que dans beaucoup d'autres pays, peut-être qu'on n'aurait pas eu ça, mais il faut juste rappeler qu'au Parlement, la majorité actuelle, c'est la majorité qui était là avant l'arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye.
Lui, son argument, et celui de ses partisans, c'est de dire que, de toute façon, l'Assemblée doit être dissoute car ils ont besoin d'une majorité pour pouvoir gouverner.
Mais encore une fois, le fait qu'un président de la République puisse déposer un projet de loi et que celui-ci soit rejeté, je crois que cela signifie que la démocratie marche, qu'il y a une séparation des pouvoirs, quoi qu'on puisse en dire, qu'il y a des institutions qui sont différentes avec chacune ses prérogatives.