Quel avenir pour la stratégie allemande dans le Sahel ?
25 janvier 2024En 2023, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, avait déclaré au sujet du Sahel : " Que nous le voulions ou non, ce qui se passe au Sahel nous concerne ". Ce qu'elle voulait dire par là, c'est que le danger est de voir de plus en plus de terroristes islamistes formés dans les Etats du Sahel. Mais aussi le nombre croissant de personnes fuyant la sécheresse et le manque de perspectives vers l'Europe. Ainsi que la nécessité de contrebalancer l'influence croissante de la Russie.
L'échec d'une stratégie
Au Mali, le régime militaire qui a pris le pouvoir en mai 2021 s'appuie davantage sur la coopération avec la Russie que sur les partenaires européens. Aujourd'hui, les mercenaires russes de Wagner soutiennent l'armée malienne qui combat les terroristes djihadistes, mais aussi les séparatistes touaregs dans le nord du pays.
Non seulement la France, ancienne puissance coloniale, a dû quitter le pays, mais l'ensemble de la mission de maintien de la paix de l'Onu, la Minusma, a également pris fin à l'insistance du pouvoir en place.
Après plus de dix ans, les derniers soldats allemands de la Bundeswehr ont à leur tour quitté le Mali fin 2023.
L'Allemagne s'etait appuyée sur de nouveaux partenaires dans la région. Mais au Niger, que le ministre de la Défense, Boris Pistorius, a qualifié de "partenaire fiable" en mai 2023, l'armée a également organisé un coup d'Etat fin juillet. L'aide allemande au développement a alors été gelée.
En décembre, le Niger a annoncé la fin de la mission militaire et civile de l'Union européenne. Le même jour, le chef de la junte, Abdourahamane Tiani, a reçu des responsables militaires russes et a accepté une coopération étroite.
Réalignement : l'Allemagne change ses priorités au Sahel
"La première stratégie européenne de sécurité pour le Sahel a échoué", selon Malte Lierl, du groupe de réflexion allemand Giga. Il ne s'agit cependant pas d'un retrait complet, mais d'un réalignement de l'engagement.
Dans le domaine de la coopération au développement, l'Allemagne est active au Sahel depuis les années 1960, explique Julian Bergmann, expert des relations UE-Afrique à l'Institut allemand de développement et de durabilité (IDOS).
Selon le principe " loin du gouvernement, mais proche de la population ", une coopération a été établie avec les acteurs locaux et de la société civile.
Julian Bergmann voit une marge suffisante pour élargir encore cet engagement. Cela pourrait créer des emplois dans l'agriculture, la construction des infrastructures et renforcer les systèmes de sécurité sociale.
Focus sur les acteurs locaux
Jusqu'à présent, l'Allemagne "s'est trop appuyée sur un partenariat avec des gouvernements dont le soutien au sein de la population avait depuis longtemps diminué", estime Malte Lierl, l'expert de Giga.
Ce dernier précise que d''une certaine manière "ces éléments font désormais partie du problème. Pour l'avenir, nous devrions en tirer les leçons afin de nous assurer au préalable que les projets politiques soient également soutenus par les populations locales. Cela signifie également que vous devez justifier vos politiques auprès de la société et être ouvert aux critiques. Cela ne s'est pas produit dans le passé."
Concernant le Mali, Julian Bergmann estime que le gouvernement militaire n'exerce pas un contrôle total sur tout ce qui se passe dans le pays. Néanmoins, selon lui l'engagement allemand au Sahel ne fonctionne pas sans le consentement du pouvoir.
Il faut donc rester en dialogue avec les gouvernements militaires et trouver des "voies pragmatiques de coopération" qui soient dans l'intérêt mutuel, ajoute Julian Bergmann.
En décembre 2023, le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius était au Niger. Concrètement, des négociations sont en cours pour savoir si la base aérienne allemande de Niamey peut être conservée. Les deux parties envisagent aussi de construire ensemble un hôpital et des groupes de travail avec le gouvernement militaire nigérien étudient la possibilité d'une coopération plus poussée.
Sahel Plus : gardez un œil sur toute la région
Le réalignement de la politique allemande au Sahel implique également de se concentrer encore davantage sur l'ensemble de la région, explique Julian Bergmann.
Avec l'initiative "Sahel Plus", le gouvernement fédéral intensifie sa coopération avec les Etats voisins comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin.
"Les groupes terroristes dans la région ne s'arrêtent pas aux frontières nationales", indiquait un communiqué commun des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et du Développement en mai 2023.
La ministre allemande du Développement, Svenja Schulze, est d'ailleurs depuis juillet 2023 présidente de l'Alliance Sahel, une plate-forme de coopération internationale pour soutenir davantage et mieux les initiatives de développement au Sahel.
Selon Julian Bergmann "au lieu de se concentrer uniquement sur un seul Etat de la région, il est préférable de s'appuyer sur différents partenaires et de voir ce qui est possible et avec qui, avec les Etats individuels, mais aussi avec les organisations régionales".
En conséquence, la coopération avec l'Union africaine et la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest (Cédéao) doit également être intensifiée.
Une stratégie européenne commune
La Russie a profité du vide créé par l'échec de la stratégie européenne de sécurité au Sahel, estime Malte Lierl. "Chaque fois que les démocraties s'effondrent ou que les putschistes prennent le pouvoir, la Russie est là. Elle peut offrir à ceux qui sont au pouvoir quelque chose qui les intéresse beaucoup : des mercenaires, des armes peut-être, des pots-de-vin, de la propagande, des campagnes de désinformation. Mais au-delà de cela - pour la société, la Russie n'a pas vraiment grand-chose à offrir", assure-t-il.
Pour Malte Lierl "cela n'a aucun sens de s'engager dans une sorte de guerre d'enchères avec la Russie pour obtenir les faveurs des putschistes". La stratégie pour l'Europe devrait être de se positionner sur le long terme et d'être à l'écoute de ce que les sociétés attendent d'un partenariat.
"L'Europe est un partenaire très fiable et n'a pas besoin de se cacher ", estime pour sa part Julian Bergmann. Elle aurait une chance, surtout si elle pouvait "apporter des changements et des perspectives sensiblement positifs pour la population de la région".
La nouvelle mission de sécurité et de défense de l'UE dans le golfe de Guinée est à juste titre liée à la coopération dans les domaines de l'Etat de droit et de la protection des droits de l'Homme.
Malte Lierl se montre également optimiste : "la persévérance finit par payer."