La tentative de coup d'Etat ratée et les défaillances en RDC
En RDC, après la tentative de coup d’Etat qui s’est déroulée, dimanche 19 mai 2024, en plein cœur de la capitale congolaise, plusieurs questions subsistent à propos de l’identité des assaillants et la facilité avec laquelle ils ont pu mener leur opération.
Y a-t-il eu des complicités au sein des services de sécurité ? Ou bien s’agit-il de l’œuvre d’amateurs qui ont sous-estimé la difficulté de leur entreprise ?
Lisez ou écoutez ci-contre les réponses de notre invité : Jason Stearns, du Groupe d'étude sur le Congo.
DW: Après la tentative de coup d'Etat en République démocratique du Congo, des questions demeurent en suspens au sujet, par exemple, de l'efficacité des services de renseignement. On se demande s'il y a eu complicité? Est-ce qu'on doit plutôt parler de défaillance? Quel regard est-ce que vous posez sur ce qui s'est passé le 19 mai ?
Il y a plus de questions que de réponses actuellement. Ce sont des scènes assez bizarres qu'on a vécues, en voyant les vidéos sur les réseaux sociaux et ensuite en voyant les communiqués de presse qui sont sortis.
On ne sait pas très bien ce qui s’est passé. Normalement, pour un coup d'Etat, on cible le chef de l'Etat. Or là ils ont tout d'abord ciblé apparemment Vital Kamerhe, qui n'est pas le chef de l'Etat. Il est dans l’élite politique, c'est quelqu'un qui veut devenir président de l’Assemblée nationale. Il est proche du chef de l'Etat mais il n’est pas le chef de l'Etat.
Il y a d’autres rapports qui viennent des forces de sécurité selon lesquels, apparemment, le ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba, et la Première ministre Judith Siminwa ont été ciblés. Tout ça, il faut le confirmer
DW: Vous connaissez la RDC, Jason Stearns. Est-ce que ça vous semble logique que cette voiture avec des hommes bien armés puisse se déplacer à cette heure-là dans la Gombe sans attirer l'attention des services de sécurité? Est-ce que ça vous semble possible, plausible?
Non, pas du tout. Donc, je pense que, tout d'abord, on peut parler d'une tentative de coup d'Etat très bizarre et très mal organisée.
Ensuite, on peut dire que ce que cette tentative, même très mal organisée, a souligné, ce sont les défaillances au sein des forces de sécurité congolaise. Tout d'abord, apparemment, ce monsieur Malanga était à Kinshasa depuis un certain moment. Comment se fait-il qu’on ne l'ait pas repéré? Quand on voit le dispositif qu'il y avait, ils n'étaient pas très bien organisé, mais quand même, ils avaient une certaine logistique, ils avaient apparemment un véhicule de la police, ils avaient des armes assez sophistiquées. Pour tout ça, il faut avoir une certaine complicité, et certainement une certaine logistique, et le fait que le gouvernement n'ait pas perçu cela, c'est la première défaillance.
Deuxièmement, bien sûr, le président n'était pas sur place quand ils ont pris le Palais de la Nation, mais c'est quand même le bureau du président ! Apparemment, ils ont pu prendre ça assez facilement, même si c'était assez mal organisé, ça, c'est, je pense, la deuxième défiance.
DW : Ce que l'on sait aussi à l'heure actuelle sur l'identité des assaillants, c'est que l'un d'entre eux, Christian Malanga, était Congolais, naturalisé Américain, vous pensez quoi de son profil? Qu'est-ce qu'un Américain vient faire dans cette histoire? Pourquoi on quitte les États-Unis pour venir faire ça au Congo?
Je n'ai pas de réponse. Ce qu’on sait de Malanga, c'est que depuis longtemps, il visait à prendre le pouvoir.
Tout d'abord, il a essayé de poser candidature – je pense en 2011 – en tant que député national ; il a échoué. Ensuite, vers 2016, il a commencé à parler de sa candidature à la présidence en RDC. Je me rappelle même qu’ il y a des journalistes qui m'ont posé cette question par rapport à Monsieur Malanga. En 2016, je le connaissais pas du tout et je pense que la plupart des Congolais non plus. Et quand il a compris que ces champs étaient assez limitées dans ses perspectives électorales en RDC, il a commencé à parler, depuis 2016 ou 2017 d'une tentative militaire. Je pense qu'on sait depuis longtemps qu'il avait ces ambitions.
DW : Est-ce qu'il aurait pu avoir des soutiens aux États-Unis?
L'ambassadeur des États-Unis a déjà dit, promis, qu’ils vont tout faire pour aider les investigations judiciaires en RDC.
Au-delà de ça, on n'a pas vraiment d’éléments. On sait par exemple, vraiment ce sont aussi des éléments assez bizarres, qu’il y a des vidéos qui le montrent avec l'armée israélienne, en Israël. On sait aussi qu'il a fait une formation militaire aux États-Unis, mais aussi une formation militaire, apparemment, en RDC. Il n'était pas membre de l'armée américaine, et on ne sait rien de tout par rapport à son background militaire aux États-Unis, à part ce que je viens de dire, la façon chaotique dont cette tentative de coup d'Etat a été organisée. Je doute fortement qu’il y ait eu un fort soutien extérieur.
DW : Pour vous, quelles sont les mesures que les autorités congolaises devraient prendre pour prévenir de telles tentatives de coup d'Etat à l’avenir ?
Je pense qu'il faut tout d'abord des enquête pour savoir ce qui ne marche pas. Il y a des problèmes de renseignement, il y a des problèmes d'organisation de la protection du président au sein même de la garde républicaine. Je pense qu'il y a des investigations à mener. Les défaillances, les incohérences qui existent au sein de la garde républicaine existent aussi au sein de l’armée, les FARDC
Je pense qu'il est temps que ce processus de réformes de la sécurité nationale dans tous ses services soit approfondi de façon transparente, avec l'implication aussi de l'Assemblée nationale, du Sénat et du peuple, du public, qu'on voudrait le plus large.