La population du Nord-Kivu en a assez des paroles
9 mars 2023Dans l’est de la République démocratique du Congo, la rébellion du M23 continue sa progression dans le Nord-Kivu. Et ce alors même qu’un accord de cessez-le-feu passé avec l’armée était censé ramener le calme dans la province, depuis mardi dernier [07.03.23]. Pourtant, il y avait eu des menaces internationales de rétorsion, en cas de non-respect des engagements.
Un cessez-le-feu claironné
Le ton du général Emmanuel Kaputa, le vice-commandant de la force régionale déployée en RDC était confiant, en début de semaine, quand il annonçait que le déploiement des forces burundaises dans le cadre de la force sous-régionale de l'EAC, "c'est pour matérialiser le cessez-le-feu qui intervient dès ce mardi 7 [...] mars. Ensuite, c’est pour participer au retrait du M23."
Réouverture des axes routiers, cessation des hostilités, retrait du M23, programme de désarmement et insertion des combattants : voilà ce qui était prévu par l'accord passé à Luanda, sous l’égide de l’Union africaine.
Désillusion rapide
Mais dès mercredi, le M23 a lancé plusieurs attaques dans les territoire de Masisi, de Rutshuru et de Nyiragongo, scellant ainsi l’échec du cessez-le-feu.
Plusieurs personnes jointes cet après-midi à Goma nous ont fait part de l’inquiétude de la population : les déplacements hors de la ville sont impossibles, y compris pour accéder à la nourriture puisque les axes de ravitaillement de Masisi, Kisanga, Rutshuru ou Minova sont de nouveau bloqués par le M23.
Alors, les négociations stériles lassent. Et l’avocat Hubert Kifaliko, représentant provincial de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj) au Nord-Kivu, attend davantage, d’abord des Etats de la sous-région.
"On parle mais personne ne respecte le cessez-le-feu", déplore Me Kifaliko qui ajoute que "si réellement les pays de l’EAC veulent imposer la paix, ils le peuvent : Le Rwanda est membre de l’EAC, en principe on peut demander au Rwanda, qui appuie le M23, de [le] faire reculer. On a envoyé la force de l’EAC. Elle ne doit pas se contenter d’observer, elle doit passer à un autre chapitre."
Le rôle de l'Onu
Le Conseil de sécurité des Nations unies envoie une délégation qui va passer trois jours en RDC. Là encore, la population du Nord-Kivu attend plus qu’une simple visite supplémentaire, après celles de l’état-major de l’Union africaine et de l’EAC. Elle réclame à l’Onu "une condamnation et une décision ferme", comme le résume Hubert Kifaliko à la DW.
Pour Thomas Fessy, chercheur principal de Human Rights Watch sur la RDC, "le Conseil de sécurité de l'Onu devrait mettre l'accent sur la protection des civils", alors que les exactions continuent dans le Nord-Kivu. "Même les camps de déplacés ne sont pas les sanctuaires qu'ils devraient être", constate le chercheur qui estime que les Nations unies pourraient agir "par le mandat de la Monusco" mais aussi "en faisant pression sur les autorités congolaises et les Etats voisins pour que la protection des civils et la justice soient au coeur de toute stratégie de réglement des conflits [...] Le Conseil de sécurité peut aussi faire usage de son régime de sanctions à l'encontre du M23 et de tout autre responsable de la région impliqué dans les exactions actuelles".
Des sanctions
Johnson Ishara Butaragaza, membre du LGD (parti d’opposition) à Goma, appelle aussi à une réaction de la communauté internationale.
Selon lui, "on ne peut plus chercher des preuves à droite à gauche" car la preuve a été faite mainte fois par les experts des Nations unies "que c’est le Rwanda qui sème la terreur, c'est le Rwanda qui a tué à Kishishe en enterrant des gens et qui continue à massacrer des gens dans les zones qu’ils occupent aujourd’hui".
Johnson Ishara Butaragaza s'interroge: "Pourquoi le monde reste-il si silencieux quand il s’agit de la République démocratique du Congo alors que quand c’est l’Ukraine, tous les pays se mobilisent ?"
L'appel des ONG
La centaine d’ONG congolaises du Réseau contre le terrorisme (RCT) a lancé il y a quelques jours un appel en ce sens. Maître Georges Kapiamba, président de l’Acaj et cosignataire de l’appel, pense lui aussi que sans des sanctions internationales "fortes", le Rwanda ne changera pas de politique.
"Il faut considérer qu’il y a des intérêts économiques et financiers, souligne-t-il toutefois. Car derrière, les produits des pillages, des contrebandes de matières premières exploitées frauduleusement dans l’est de la RDC sont exportés vers les entreprises de ces mêmes pays [occidentaux]".
Georges Kapiamba poursuit: "Nous sommes convaincus que ces entreprises, qui bénéficient de cette exploitation des minerais de sang, font pression sur leurs gouvernements pour continuer à hésiter à sanctionner le Rwanda car en sanctionnant le Rwanda, ils ne recevraient plus les mêmes matières premières. Alors qu’ils pourraient prendre la porte officielle en passant par Kinshasa et continuer à bénéficier des mêmes produits tout en préservant les vies humaines"
Pour Thomas Fessy de Human Rights Watch, "les sanctions sont un moyen de pression afin que le Rwanda cesse d’assister le M23 et par là de déstabiliser toute une partie du Nord-Kivu". Le représentant de l'Ong estime que "des sanctions contre ceux qui sont responsables de ce soutien, la suspension d’aide sécuritaire tant que le Rwanda continuera de soutenir le M23 sont nécessaires actuellement".
Responsabilités partagées
Me Georges Kapiamba reconnaît une part de responsabilité des autorités congolaises qui ont "dilapidé" une partie des fonds alloués à la modernisation des FARDC et à la lutte contre les groupes armés dans l’Est.
Cependant, selon lui, l’attitude de Kinshasa a changé et il attend donc un soutien plus grand des pays occidentaux partenaires de la RDC. C'est pourquoi le président de l'Acaj déclare lui aussi : "Nous pensons que la communauté internationale doit venir au secours de la RDC et agir avec la même efficacité et le même engagement que ce qu’elle est en train de faire en Ukraine contre l’agression par les forces russes."
Le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, estime lui aussi qu’"il y a aujourd'hui une nouvelle fenêtre qui s'est ouverte". Il a déclaré au micro de nos confrères de RFI que "la responsabilité de la France est engagée pour l'issue du processus".
Pour Thomas Fessy enfin, en parallèle, les processus de paix de Nairobi et Luanda, devraient "mettre l’accent sur la démobilisation des groupes armés alors que le programme de désarmement et de démobilisation peine à commencer".