Une élection présidentielle gagnée d’avance au Congo
23 mars 2021Tribune, par Eric Topona - Le Congo est un pivot dans une Afrique centrale que l’intellectuel camerounais Achille Mbembe désigne comme le "cœur des ténèbres" de l’Afrique. Cette expression, empruntée au romancier polonais Joseph Conrad, est l’expression de son indignation au regard de l’immobilisme de cette région du continent africain, pourtant riche de son capital humain, de son sol fertile et de son sous-sol qui regorge de ressources naturelles.
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Denis Sassou Nguesso cumule 36 années à la tête de l’Etat congolais. Il faut néanmoins lui reconnaître une singularité dans cette sous-région du continent africain : il est le seul chef d’Etat d’Afrique centrale à avoir été défait, en 1992, à l’issue d’une élection présidentielle démocratique et transparente et à ne pas avoir contesté le verdict des urnes.
Toutefois, c’est par la force des armes que Denis Sassou Nguesso accède de nouveau à la magistrature suprême, le 24 octobre 1997, après avoir renversé son successeur, Pascal Lissouba, au terme d’une guerre qui a fait plusieurs milliers de morts et qui demeure une ligne de fracture au sein de la société congolaise.
Denis Sassou Nguesso promulgue alors un Acte fondamental qui aménage une transition flexible de trois ans et qui va finalement durer cinq ans, de 1997 à 2002.
Consolidation d’un pouvoir granitique
Depuis lors, le socle granitique du pouvoir de Denis Sassou Nguesso n’a cessé de se consolider. Les processus de renouvellement du personnel politique au sommet de l’Etat n’ont été que des rituels électoraux sans grand suspense.
Denis Sassou Nguesso a fait face, le 21 mars dernier à six adversaires qui contestent le renouvellement de son mandat à la tête du pays.
Ses principaux adversaires ont été ses collaborateurs. Mathias Dzon fut son grand argentier de 1997 à 2002 et l’ancien ministre de la Pêche maritime et continentale, chargé de l'aquaculture, puis ministre de la Fonction publique et de la réforme de l'Etat, Guy-Brice Parfait Kolélas. Denis Sassou Nguesso a aussi fait face à son ancien aide de camp de 1979 à 1992, Albert Oniangué âgé de 66 ans, sans oublier les habitués de la compétition : Joseph Kignoumbi Kia-Mboungou et Anguios Nganguia Engambé.
Atteint de la Covid-19, l'opposant Guy-Brice Parfait Kolélas, arrivé deuxième lors de la présidentielle de 2016 est décédé dimanche, tard dans la soirée, lors de son évacuation sanitaire vers la France, quelques heures seulement après la clôture du scrutin.
Selon son porte-parole, Christian Cyr Rodrigue Mayanda, "Guy-Brice Parfait Kolélas est décédé dans l'avion médicalisé qui était venu le chercher à Brazzaville dimanche après-midi".
L’ancien ministre de Dénis Sassou Nguesso avait publié samedi, à quelques heures du scrutin, une vidéo dans laquelle il affirmait "se battre contre la mort".
"Mes chers compatriotes, je me bats contre la mort, mais cependant, je vous demande de vous lever. Allez voter pour le changement. Je ne me serais pas battu pour rien. Levez-vous comme un seul homme. Faites-moi plaisir. Je me bats sur mon lit de mort. Vous aussi, battez-vous, pour votre changement. Il en va de l'avenir de vos enfants ", avait-il déclaré, d’une faible.
De nombreux analystes de la vie politique du Congo ne se font pas d’illusion : le décès de Guy-Brice Parfait Kolélas, (qui avait démissionné du gouvernement en 2015, avant d'affronter dans les urnes en 2016 le président Denis Sassou Nguesso qu'il considérait comme son père) ne changerait pas la donne politique et n'influerait pas non plus l’issue du vote, en dépit du poids politique et électoral du défunt. Car, le président congolais, et c'est un secret de polichinelle, en est le grandissime favori.
Séisme politique ?
Faut-il donc attendre un séisme politique, à l’issue du premier tour de cette élection présidentielle ? Comme avant eux, le général Jean-Marie Michel Mokoko, aujourd’hui tombé en disgrâce et sous les verrous depuis 2016 (il a été reconnu coupable, en mai 2018, d'atteinte à la sécurité de l'Etat), les candidats en lice croient en leur chance de battre dans les urnes le président congolais, comptant sur le mécontentement et la lassitude de la population.
Cependant, ils auront fort à faire face à la redoutable machine politique et à l'administration au service du président Denis Sassou Nguesso.
En plus de son maillage institutionnel et idéologique du territoire national, le Parti congolais du travail (PCT) au pouvoir, créé en 1969, est un puissant appareil politique dévoué au président sortant et à sa volonté assumée de se maintenir au sommet de l’Etat.
Un nouveau quinquennat pour un septuagénaire ?
La grande interrogation de cette élection présidentielle porte donc moins sur le nom du vainqueur que sur l’usage que ferait Denis Sassou Nguesso d’un nouveau quinquennat… à 77 ans.
L’un des enjeux de la séquence politique qui s’ensuivra sera inéluctablement axé sur sa succession ; et ce sera au sein de la grande famille du PCT qu’auront lieu les grandes batailles qui décideront de l’avenir de la République du Congo.
Les mystères de la manne pétrolière
Le Congo est le sixième pays producteur de pétrole en Afrique avec une production estimée à 350 000 barils par jour. En 2019, l’Etat congolais annonce la découverte de quatre nouveaux gisements qui hisseraient sa production journalière à 980 000 barils.
Cette annonce a pourtant suscité le scepticisme des spécialistes de l’exploration pétrolière qui y voient plus une tentative d’entretenir au sein de la population l’illusion de lendemains qui chantent.
Situé au cœur de la forêt du bassin du Congo, deuxième poumon de la planète après l’Amazonie, le pays de Denis Sassou Nguesso est paradoxalement l’un des plus pauvres d’Afrique subsaharienne.
Endetté à 87 % de son PIB, la moitié de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. Le Congo est à cet égard l’illustration de la "malédiction de l’or noir" pour une population qui espère toujours une juste répartition des richesses de son sous-sol.
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En effet, de hauts dignitaires du Congo sont, depuis 2009, dans le collimateur de plusieurs ONG et des autorités judiciaires française, suisse, américaine.
Mais ceux-ci crient à l’acharnement judiciaire et à des tentatives de déstabilisation néocolonialiste. Depuis "l’affaire des biens mal acquis" en France qui a vu plusieurs officiels congolais mis en examen, la justice n’a cessé de se rapprocher de la gestion du pétrole congolais sous l’ère Sassou Nguesso.
Deux procédures ouvertes devant la justice américaine sur la base d’un rapport de l’ONG Global Witness ont abouti à la saisie conservatoire d’une résidence à Miami (dans l’Etat de Floride, aux Etats-Unis), d’une valeur de trois millions de dollars, acquise par Denis Christel Sassou Nguesso, l’un des fils de l’actuel chef de l’Etat, lorsqu’il était numéro un de la Société nationale des pétroles congolais (SNPC).
Plus récemment, en 2019, la société de négoce suisse Gunvor a été condamnée à payer une amende de 90 millions de francs suisses pour une accusation d’actes de corruption au bénéfice de responsables congolais. Il est manifeste qu’un nouveau mandat de Denis Sassou Nguesso ne sera pas de tout repos sur le front judiciaire.