La délégation nigérienne était composée du ministre de l’Intérieur, du directeur du cabinet du président de la transition et d’autres responsables sécuritaires. Elle a notamment rencontré le président béninois Patrice Talon. Les différentes parties n’ont fait aucune déclaration à l’issue des échanges.
La délégation nigérienne est arrivée à Cotonou après que les anciens présidents béninois Boni Yayi et Nicéphore Soglo ont séjourné au Niger. Ces derniers ont rencontré le président Patrice Talon à leur retour au Bénin.
Juste Codjo enseignant-chercheur, professeur de sécurité internationale à la New Jersey city university aux Etats-Unis, ces visites de délégations dans les deux pays sont un pas dans la bonne direction pour mettre fin à la brouille entre les deux pays voisins.
Juste Codjo : Moi j'ai publié finalement une tribune dans les colonnes du think tank Wathi pour justement expliquer pourquoi il fallait prendre la crise au sérieux et pourquoi il fallait une médiation et les conditions d'une médiation. Donc c'est une semaine après la publication de cette tribune que j'ai appris avec plaisir que les deux anciens présidents béninois sont allés au Niger.
Nous n'en savons pas plus sur comment cette initiative de médiation est née. Mais elle est salutaire. Maintenant, si à la suite de cette initiative de médiation, nous voyons que les autorités nigériennes et les autorités béninoises se sont se sont accordées à faire venir une délégation du Niger au Bénin, c'est aussi salutaire. Donc c'est un premier pas important dans la bonne direction que je salue personnellement. Mais il y a encore beaucoup, beaucoup à faire.
Qu'est ce qu'il y a justement à faire ? Parce qu'on a constaté qu'après la première délégation, il y a eu comme un silence. Pour vous, est-ce qu'il y a encore des choses qui bloquent dans l'ouverture de cette frontière ? Il n'y a pas que ça, il y a la question aussi du pipeline. Tout ça c'est c'est en stand-by. Est-ce que vous pensez qu'il y a des choses qui bloquent ou il y a des négociations en coulisses ?
Juste Codjo : Evidemment, moi je suis partisan d'une hypothèse qui ne plaît pas à beaucoup de gens. Beaucoup vous diront que le refus des Nigériens d'ouvrir la frontière, c'est un entêtement ou c'est simplement un moyen de mobiliser du soutien à l'interne.
Moi, je vais au-delà parce que cette hypothèse n'est pas convaincante au regard des coûts énormes que le peuple nigérien, que le régime nigérien paye pour cette ouverture. Donc je crois personnellement que la junte nigérienne se sent menacée, qu'il y a une menace peut-être pas visible aux yeux de tout le monde, mais qu'elle a identifiée à son niveau et qu'il est important pour le côté béninois et pour la communauté internationale de chercher à comprendre quelle est cette menace, quelle est cette raison. Parce que ça fait un an comme vous dites. Ils ne peuvent pas continuer à payer ce coup-là pendant un an juste pour le plaisir d'être têtus.
Mais ce qu'elles disent officiellement, les autorités nigériennes, c'est qu'il y a des bases françaises dans le nord du Bénin. Elles parlent de bases d'entraînement de terroristes. Vous pensez que ça c'est pas vraiment ça le problème ? Je rappelle tout de même que Porto-Novo a démenti l'existence de bases et a demandé à Niamey de venir vérifier.
Juste Codjo : Voilà. Et donc ce démenti du Bénin n'a pas rassuré suffisamment les Nigériens. Et donc ça veut dire que comme je disais, c'est à prendre au sérieux. Pour aller toujours dans le même sens de ce que je disais à savoir il faut prendre au sérieux, regardez un peu la composition de la dérigation nigérienne, qui était à Cotonou. Il n'y a pas le ministre des Affaires étrangères, c'est une délégation hautement sécuritaire : le ministre de la sécurité publique, il y a évidemment le directeur de cabinet du président de la transition.
Mais il y a surtout les représentants des services de renseignement du Niger, un représentant de la police du Niger, un représentant de la garde nationale du Niger, un représentant de la gendarmerie nationale du Niger. Il n'y a pas le ministre des Affaires étrangères. Donc, ça vous dit quelque part que c'est une question sécuritaire que le régime nigérien prend au sérieux. Je ne sais pas ce qui réellement motive la junte nigérienne. Mais quand on regarde ces faits, observables par tous, on ne peut pas ne pas conclure qu'il s'agit de quelque chose qu'eux autres prennent au sérieux. Et donc si nous nous engageons à traiter avec avec eux - je parle nous parce que je suis bien Béninois d'origine - donc si le Bénin s'engage à traiter avec le Niger, il faut effectivement placer leur menace, tout au moins leur faire croire qu'on prend au sérieux ce qu'ils avancent comme allégation. Et traiter cela avec tout le sérieux qu'il faut, toute la responsabilité qu'il faut. Je crois que c'est vraiment salutaire qu'enfin le Bénin ait ouvert les portes pour recevoir cette délégation, comme je dis hautement sécuritaire.
Alors il y a certaines thèses aussi qui affirment que le Niger garde la frontière fermée parce qu'il a aussi envie de faire plier le pouvoir de Porto-Novo, sachant que la population va manifester contre le pouvoir de Patrice Talon. Est-ce que vous pensez que c'est une hypothèse qui est faible ? Parce que certains se disent le Tchad où il y a une base française, la frontière est ouverte. Mais pourquoi c'est avec celle du Bénin que c'est fermé. Ou bien vous pensez que le Niger fait payer au Bénin les sanctions de la Cédéao que le Bénin a validées après le putsch ?
Juste Codjo : Peut-être qu'en comparant le Tchad et le Bénin, peut-être que le Niger a conclu que le Bénin serait une position beaucoup plus vulnérable pour eux en termes de points d'attaque, en termes de point de déstabilisation.
Comme je dis je suis Béninois, j'ai servi dans l'armée béninoise vingt années et plus. Donc je n'ai pas de raison de ne pas croire en ce que disent mes autorités. Mais cela dit, il faut en bon analyste que que j'essaye d'être, prendre les faits, observer tout ce qui se passe, observer le contexte et le contexte malheureusement est très préoccupant. Il est préoccupant en ce sens que nous savons que des puissances étrangères ne sont pas d'accord évidemment avec l'arrivée d'un putschiste au Niger. Et donc ces puissances ne vont pas croiser les bras, elles vont tenter de faire quelque chose. Si le Bénin ne fait pas partie d'un plan de ce genre, il y a tous les moyens, comme je suis en train de voir qu'ils ont commencé à faire, de rassurer toutes les parties.
Maintenant, est-ce que le Niger aussi profite de cette situation pour atteindre d'autres objectifs ? Ce n'est pas exclu. Je l'ai dit aussi dans ma tribune, le Niger, en termes d'escalade pourrait chercher à soutenir des opposants béninois, des opposants au régime béninois pour faire plier, comme vous dites aussi, le régime béninois sur un certain nombre de plans.
Pour vous, quels peuvent être les impacts de la fermeture de la frontière qui est intervenue après le putsch ? Quels peuvent être les impacts de cette fermeture-là sur les populations des deux pays ?
En fonction du pays où vous êtes, on tentera de vous faire croire que... on tentera de minimiser les impacts pour faire croire que c'est l'autre pays qui en souffre le plus. C'est pas là le problème. Le problème c'est de savoir si les peuples des deux côtés en souffrent. Et la réponse est oui. Que ce soit du côté nigérien ou du côté béninois. Les opérateurs économiques qui étaient impliqués dans l'importation et l'exportation à partir du Bénin vers le Niger, ils vont en souffrir. Les transporteurs qui étaient impliqués, ils en souffrent des deux côtés.
Les emplois connexes, les transitaires des deux pays, les chauffeurs qui conduisaient par exemple des véhicules d'occasion qui partaient du port de Cotonou pour aller vers le Niger, tous ceux-là sont aujourd'hui au chômage. Ne parlons pas non plus du consommateur parce que quand le Niger essaye une solution alternative par le port de Lomé via le Burkina, ça rallonge les distances, ça augmente les prix et c'est le consommateur qui paye finalement la différence.
Aussi les caisses de l'Etat en souffrent. Donc je crois que les impacts après un an, on peut s'accorder au moins à dire que chacun des deux pays en souffrent et qu'il est temps vraiment de s'asseoir et de trouver une solution.