Mali : les réactions au retrait des soldats danois de Takuba
28 janvier 2022La tension est aussi importante entre le Mali et le Niger. Hassoumi Massoudou, le chef de la diplomatie nigérienne, a affirmé que Niamey ne comprenait pas que des chefs militaires, après avoir échoué sur le terrain de la guerre, prennent le pouvoir au nom d'un "patriotisme frelaté".
Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur à l‘Institut d'études en sécurité, rappelle dans cet entretien qu'il nous a accordé que les tensions entre les deux pays ne sont pas nouvelles.
DW : "Nous entendons le discours de la junte malienne. Nous ne comprenons pas que des chefs militaires, après avoir échoué sur le terrain de la guerre, prennent le pouvoir politique et au nom d'un patriotisme frelaté (fassent) appel à des mercenaires pour défendre l'intégrité de leur territoire", a déclaré Hassoumi Massoudou, le ministre nigérien des Affaires étrangères. Quelle est votre analyse de ses propos ?
Fahiraman Rodrigue Koné : Je pense que cette sortie est un autre épisode d’un ensemble de tensions qui se développe entre les autorités nigériennes et les autorités de la transition au Mali et traduit bien les postures antagoniques qu'il y a autour de cette question de la transition au Mali. Cela montre clairement, les postures variées qu'il y a autour de la réponse qu'il faudrait apporter à la question de la menace de l'extrémisme violent qui croît dans la région. Cela traduit également en filigrane la posture de la Cédéao, son implication et la manière dont elle veut résoudre la crise malienne.
DW : pensez-vous qu'aujourd'hui, la Cédéao dispose de tous les outils nécessaires pour agir de manière efficace dans la région par rapport à la menace terroriste ?
Fahiraman Rodrigue Koné : Je pense que la Cédéao, tout comme les intervenants en dehors de ce cadre régional, je pense à l'Union africaine, mais également aux Nations unies autant que les partenaires bilatéraux comme la France ou l'Union européenne, qui interviennent au niveau régional autour de cette crise, sont aux prises à une situation très complexe. La posture d'intervenants en situation de crise est une posture urgentiste et qui est pratiquement difficile à gérer. Cette crise fait réfléchir sur les instruments idoines au pouvoir qui doivent être ceux du multilatéralisme face à la gestion de la crise actuelle. Si nous faisons une analyse plus précise et plus concrète de la difficulté d'intervention de ces institutions ou de ses partenaires, c'est essentiellement fondé sur une évolution assez forte des imaginaires politiques au niveau régional. Les élites politiques ont presque failli à pouvoir résoudre les questions démocratiques de fond. Des questions de gouvernance, et plus particulièrement la crise sécuritaire, révèlent un peu toute l'ampleur de cette incapacité à pouvoir régler ces problèmes de fond. Alors que la Cédéao et ses institutions se basent non seulement sur une approche face à la crise sécuritaire mais d'un autre côté, l'intervention de ses institutions, tente à vouloir conforter les ordres établis et il y a un rejet de ces ordres au niveau des populations. Cela complexifie leur intervention.
DW : par rapport au G5 Sahel, quel pourrait être l'avenir d'une structure comme celle-là ? N’a-t-elle pas, d'une manière ou d'une autre, montré ses limites ?
Fahiraman Rodrigue Koné : Les limites du G5 Sahel sont beaucoup plus au niveau opérationnel. La conception du G5 Sahel comme stratégie ouest africaine (ou sahélienne) dans la gestion de cette crise est une très bonne idée. Seulement, les difficultés qui sont liées à son application opérationnelle ont défini ses limites d'action dans un cadre où il y a une multitude d'autres acteurs internationaux qui interviennent. Le principe d'une mise en posture des États africains dans la lutte contre la menace sécuritaire est un principe qui doit prévaloir et donner plus de moyens au G5 Sahel. Définir des approches opérationnelles plus souples qui permettent un engagement véritable dans la lutte serait beaucoup plus efficace. L’aspect militaire n'est pas la seule et la meilleure réponse. Il faut que celle-ci soit diversifiée.
DW : Mali, Tchad, Guinée et tout récemment le Burkina Faso, pensez-vous que les pouvoirs civils ont échoué ?
Fahiraman Rodrigue Koné : Si les pouvoirs civils ont échoué, ils ont échoué à donner une réponse concrète aux aspirations démocratique qu’on a vu émerger dans les années 1990. Mais aussi et de façon plus concrète, à répondre aux besoins socio-économiques et la faillite de la gouvernance des élites démocratiques expliquent pour beaucoup pourquoi aujourd'hui, les populations à la limite sont plus tolérantes ou encouragent l'intervention des acteurs militaires sur la scène politique. C'est sur ce déficit de gouvernance qu'émergent ces nouveaux acteurs.