Au Mali, critiques contre la junte non désirées
22 mars 2022Les alertes et les inquiétudes sont quotidiennes. Les défenseurs des droits humains et de la démocratie au Mali sont sous pression. Menaces, arrestations, condamnations visent de plus en plus des membres de la société civile et des responsables politiques sur place. Ceux qui osent s'exprimer parlent de dérives de la junte en place.
Risque de représailles
Signe de l'atmosphère dans le pays : les nombreux téléphones qui sonnent dans le vide ou les messages qui restent sans réponse. Certains n'osent pas s'exprimer. "Si vous voulez parler sécurité, ok, mais les droits humains impossible", glisse un interlocuteur. Parler du sujet "serait beaucoup trop dangereux".
On raconte sur place les pressions sur les groupe de militants ou associations bien implantées, les menaces de dissolution ou d’exclusion de tout travail en commun avec les autorités. "Le droit à la critique existe mais disons que les risques de représailles sont réels pour les acteurs de la société civile ou de la presse", confirme Ousmane Diallo, chercheur pour Amnesty International au Sahel.
Arrestations et inculpations
Ousmane Diallo parle d'un climat "de plus en plus lourd". "Le gouvernement, dans un contexte de sursaut patriotique, de volonté de refondation nationale, essaie de fédérer toutes les énergies autour de sa politique. Il veut s’imposer comme le seul acteur politique institutionnel qui va dicter la posture du Mali."
Des pressions qui ont débuté l’an dernier. Amnesty International cite le cas de l’opposant Oumar Mariko, inculpé, ou de l’arrestation de l’économiste Etienne Fakaba Sissoko, visiblement trop bavard dans les médias.
Pressions sur les médias
Ces pressions se sont démultipliées depuis le début de l’année, selon de nombreux observateurs. La semaine dernière, Human Rights Watch publiait un rapport dénonçant les crimes commis contre des civils par des groupes djihadistes mais aussi par l’armée malienne. La junte a ordonné la suspension de la diffusion de chaînes de radio et télévision RFI et France 24, qui s’en sont fait l’écho.
Un signe de plus du raidissement des autorités pour Corinne Dufka, directrice de Human Rights Watch pour le Sahel, qui parle d'un signal "consternant". "Cela envoie un message clair aux journalistes nationaux, internationaux, à la société civile et aux groupes de défense des droits humains : il ne faut pas enquêter sur les allégations des exactions des forces de l’ordre."
La peur jusqu'en Allemagne
Un climat de peur, d’auto-censure, qui s’étend au-delà même du Mali. "Je constate cela même ici en Allemagne, parmi nos organisations membres", raconte, depuis Berlin, Grit Lenz, coordinatrice de l'organisation Fokus Sahel, qui travaille avec le Mali. "Quand nous organisons des débats ou des événements, certains préfèrent ne pas se prononcer de façon critique contre le gouvernement malien. Ils craignent que cela nuise à leur travail au Mali. On pourrait leur interdire de continuer leur travail ou projets avec leur partenaires."
Le sujet devant le Conseil de sécurité de l'ONU
Les autorités étaient elles injoignables sur le sujet ce mardi. Elles avaient assuré, après la publication du rapport de Human Right Watch, que des enquêtes sur les exactions contres les civils étaient en cours. Et dénoncé aussi, dans le même rapport, la présence de "fake news" pour "discréditer" l'armée malienne.
L’expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Mali, le Sénégalais Alioune Tine, doit présenter, lundi prochain, le 28 mars, un rapport sur la situation dans le pays au Conseil des droits de l’homme à Genève, après sa visite récente dans le pays.