Le Burkina en quête d’une nouvelle stratégie antiterroriste
27 janvier 2023L'annonce a été faite mercredi par le ministère français des Affaires étrangères.
Présentes au Sahel depuis 14 ans, les forces spéciales françaises de l'opération "Sabre" sont spécialisées dans le renseignement. Elles procèdent, chaque année, à une quarantaine de missions et sont spécialisées dans l'élimination des chefs des réseaux djihadistes.
Dès lors, comment analyser la stratégie de lutte contre le djihadisme mise en place par les nouvelles autorités de la transition burkinabè ?
Ecoutez ou lisez ce qu'en pense Bakary Sambe, directeur régional au Timbuktu Institute, le Centre africain des études pour la paix.
Retranscription de l'entretien
Bakary Sambe : Le Burkina s'est inscrit depuis très longtemps dans une logique de recruter des groupes d'autodéfense comme les Koglweogo et ensuite les VDP (Volontaires pour la Défense de la Patrie) pour communautariser la lutte contre le terrorisme. Mais nous avons vu les travers auxquels cette stratégie a pu conduire, avec notamment l'ostracisme à l'égard de certaines populations dans le Soum, dans l'Oudalan et même dans la région de Djibo ou dans le Centre-Ouest. Et nous voyons aujourd'hui que cette stratégie là n'a pas été payante. Cette stratégie a conduit véritablement à des conflits intercommunautaires que l'on a remarqués et qui ont exacerbé la situation sécuritaire au Burkina Faso.
DW : Et cette stratégie doit-elle continuer ?
Bakary Sambe : S'il faut continuer dans cette même stratégie, il faudrait vraiment la mitiger et réorienter cette stratégie là selon le nouveau paradigme selon lequel la plupart de ce qu'on appelle les jihadistes au Burkina Faso sont Burkinabè; 90 % des combattants qu'on appelle jihadistes au Burkina Faso sont burkinabè. Maintenant, s'il faut aller vers une logique communautaire, vers une stratégie se tournant vers le dialogue, comme on l'a vu au Niger, cela peut être salutaire. De toute façon, la stratégie de lutte contre le terrorisme, telle qu'entamée depuis - avec les forces françaises ou sans les forces françaises - a été contreproductive parce qu'elle ne répondait plus à la réalité du terrain.
DW : Et même si cette stratégie est désuète, est ce qu'elle n'apporte pas plus de résultats que celle en vigueur au Mali voisin ?
Bakary Sambe : Absolument. Je crois que le fait de s'appuyer sur le renseignement humain, de s'appuyer sur les communautés elles-mêmes et les impliquer, cela relève d'une bonne stratégie. Mais je doute fort de la rupture paradigmatique qui est nécessaire aujourd'hui, c'est à dire ne plus s'inscrire dans une logique de mettre les communautés les unes contre les autres et de s'orienter vers un véritable dialogue communautaire impliquant même ces sociétés qui ont été ostracisées.
DW : Dernière question Bakary Sambe, est-ce que la stratégie mise en place par le capitaine Ibrahim Traoré et son régime, est-ce qu'elle n'est pas plus pratique que celle qui était expérimentée avant sa prise de pouvoir ?
Bakary Sambe : On ne peut pas pour l'instant donner une appréciation objective de la stratégie burkinabé avec les nouvelles autorités. Pour deux raisons. La première est que ces nouvelles autorités arrivent au pouvoir et veulent s'adosser à une légitimité populaire et sociale, d'où la rupture immédiate avec la France pour montrer que cela changera par rapport à Damiba. Mais aussi, à part cet exploit qui a été de récupérer ces femmes qui ont été enlevées par les jihadistes, il faudrait donner du temps à cette stratégie là, de voir comment elle va se déployer, comment elle va rompre d'avec les paradigmes antérieurs, mais surtout comment elle va faire de sorte à éviter les effets contreproductifs de la lutte contre le terrorisme qui utilisent certaines communautés contre les autres, notamment les communautés peules, au risque de créer aujourd'hui une véritable fracture au sein de la société burkinabè qui, à mon avis, pourrait aboutir à des conséquences encore plus dramatiques.