En Libye, les démineuses ne défient pas que les bombes
16 mars 2023Malgré les craintes de sa famille, les critiques de la société libyenne et le danger évident, Farah al-Ghazali, l'une des premières femmes démineuses de Libye, explique qu'elle n'a pas hésité à partir pour suivre une formation de trois mois près de Tripoli, la capitale libyenne.
Elles sont plusieurs comme elle à avoir subi les réticences de leur entourage face aux risques liés à leur métier.
"Ce travail est comme une confrontation directe avec la mort", explique Aseel al-Ferjani, une des nouvelles démineuses libyennes, "car les mines ne se soucient pas des erreurs".
Huda Khaled, une autre démineuse, ajoute pourtant qu'elle a vu pire. "Nous avons passé des années à subir des explosions sur nos marchés et dans nos rues. Le danger du déminage est similaire à notre vie quotidienne", a-t-elle déclaré à DW.
Les plus anciens de ces explosifs proviennent notamment des combats contre l'Egypte et le Tchad dans les années 1970 et 1980.
Mais de nouveaux engins continuent d'être posés par les milices. Depuis la chute de l'ancien chef d'Etat libyen Mouammar Kadhafi, en 2011, deux factions opposées se disputent le pouvoir dans le pays.
Les forces de Khalifa Haftar, aidés par le groupe Wagner, n'hésitent ainsi pas à poser de nouvelles mines terrestres partout dans le pays.
La société libyenne désapprouve
Les dangers ne sont pas les seuls défis auxquels les démineuses doivent faire face, explique Mahmoud al-Alam, qui a formé ces femmes près de Tripoli. En effet, en Libye, ce travail a longtemps été considéré comme une activité réservée aux hommes.
"Les participantes ont été confrontées à de nombreux défis en raison des coutumes et des traditions d'un pays conservateur qui limitent le travail des femmes en général. On peut donc imaginer ce qu'il en est dans un domaine comme le déminage".
Abigail Jones, responsable de programme au Centre international de déminage humanitaire de Genève (CIDHG) l'admet également : " [Le domaine] est traditionnellement dominé par les hommes en raison de son affiliation historique avec les militaires. Mais cette situation a changé depuis que le déminage humanitaire a commencé en Afghanistan. Il existe aujourd'hui une volonté internationale incontestable de promouvoir l'égalité des sexes dans ce secteur."
En effet, la première équipe de déminage entièrement féminine a été créée en 1999 par une organisation humanitaire norvégienne au Kosovo. Depuis, les femmes travaillent dans le secteur du déminage dans plus de 25 pays différents et représentent environ 20% du personnel affecté à des taches de déminages actifs.
Des démineuses qui transforment les communautés
Mais l'augmentation du nombre de femmes dans le secteur a donné lieu à des discussions sur leur efficacité.
Or, une étude du Journal of Conventional Weapons Destruction, publié à l'automne 2022, est venue clore ce débat. Après avoir étudié le nombre de mètres carrés déminés par les deux sexes dans 14 pays différents, l'étude a conclu que l'analyse quantitative des données n'a révélé « aucune différence dans la productivité opérationnelle ou la disponibilité au travail".
Des études menées dans des pays où les femmes démineurs sont mieux établies ont aussi montré que leur inclusion peut "transformer les normes de genre au niveau de la communauté".
Cela permettrait donc de remettre en question les perceptions quant à la capacité des femmes à effectuer les mêmes tâches que les hommes, même les plus dangereuses, tout en leur procurant une indépendance financière.
"L'impact transformateur de l'emploi des femmes dans ces rôles est donc très important" ajoute Abigail Jones.