L'extrême droite et l'extrême gauche remportent la Thuringe
28 octobre 2019Nouveau coup de semonce pour la coalition au pouvoir à Berlin : lors des élections régionales dans le Land de Thuringe ce dimanche 27 octobre, les partis de l'extrême gauche Die Linke (avec 31% des voix) et de l'extrême droite AfD (23,4%) sont largement arrivés en tête.
La CDU d'Angela Merkel perd douze points et plafonne à un peu moins de 22%.
Le SPD social-démocrate est loin derrière avec seulement 8,2%.
Les libéraux du FDP et les écologistes passent tout juste la barre des 5% leur permettant de siéger au Parlement régional.
Les extrêmes à la pointe
Ces résultats de Thuringe ne sont pas très étonnants puisqu'ils correspondent aux tendances annoncées par les sondages.
Ce qui l'est davantage, c'est que les deux partis aux extrémités de l'échiquier politique soient sortis aussi largement vainqueurs, au détriment des deux partis gouvernementaux.
Pour Emmanuel Droit, professeur d'histoire contemporaine allemande à Sciences Po Strasbourg, il s'agit d'abord de la victoire d'un homme, Bodo Ramelow, puisque le ministre-président de gauche (Die Linke) est reconduit et atteint même un score historique :
"Bodo Ramelow a réussi à convaincre les électeurs de sa capacité à investir certains domaines comme l'éducation. Et là c'est plus par adhésion que les électeurs ont voté. Die Linke qui avait l'image d'un parti plutôt protestataire a même récupéré des électeurs de la CDU. Et les électeurs du centre ou du centre gauche ont cherché à donner cette prime au sortant."
L'AfD à la pêche aux abstentionnistes
D'autre part, ce scrutin confirme de l'essor de l'AfD, qui se pose en nouveau parti contestataire pour les citoyens qui se sentent déclassés socialement.
"C'est un parti qui est capable d'aller chercher des abstentionnistes, c'est-à-dire des électeurs qui s'étaient repliés et qui, par désenchantement, n'allaient plus voter."
Or Björn Höcke, le candidat de l'AfD, est une figure particulièrement radicale du parti. Issu de l'aile la plus proche de la mouvance néonazie, il s'est illustré par de nombreux dérapages dans les médias. La justice a même reconnu le caractère "fasciste" de son discours.
Le politologue Gero Neugebauer souligne aussi que la xénophobie et le racisme sont des fonds de commerce populaires et que Björn Höcke a su en jouer pour draguer les électeurs déçus.
Selon lui, les autres partis devraient donc davantage se positionner en alternatives pour couper l'herbe sous le pied de l'extrême droite.
Les échecs de la CDU et du SPD
Gero Neugebauer rappelle qu'"un parti populaire (Volkspartei) est censé être un parti capable de proposer un programme à un large pan de la société. Le parti social-démocrate a toujours été une petite formation en Thuringe, en reconstruction depuis la réunification de 1990. La CDU a très longtemps dirigé ce Land, elle a eu des figures qui avaient une très bonne image et étaient réélus. Mais elle ne parvient plus à représenter la classe moyenne. Elle a perdu beaucoup d'électeurs au profit de la gauche et de l'extrême droite. Et elle ne parvient pas à reconstituer un programme qui fasse d'elle une force d'opposition alternative dans la région. Elle récolte donc les fruits de ses erreurs de stratégie politique."
Dans aucun des deux grands partis de masse qu'étaient auparavant la CDU et le SPD n'émerge de nouvelle figure. Les deux partis sont minés par les dissensions de personnes qui prennent souvent le pas sur le renouveau idéologique.
La fin des tabous?
Quant au candidat chrétien-démocrate (CDU), Mike Mohring, il a brisé un tabou politique en se disant prêt à négocier avec die Linke en vue de constituer une alliance au niveau régional. Gero Neugebauer s'en amuse :"C'est comme dans l'Eglise catholique : on commence à discuter du célibat des prêtres quand il y a crise des vocations. La CDU va aussi devoir se demander s'il faut vraiment garder ce dogme de l'impossibilité de faire coalition avec la gauche si elle veut accéder au pouvoir."
Pour Emmanuel Droit, cela constituera même l'un des principaux enjeux des prochaines années en Allemagne : la capacité ou non des partis démocratiques à s'unir pour constituer un "front antifasciste" contre l'AfD.