Les LGBT face au droit d'asile en Allemagne
25 mars 2019"Je ne sais pas ce qu'ils veulent, s'indigne Diana Namusoke. Je ne sais pas pourquoi ils ne nous croient pas". Installée dans une église dans le quartier de Kreuzberg à Berlin, Diana est emmitouflée dans sa veste. Elle a gardé son bonnet en laine. Dehors, il fait encore un froid glacial. Nous sommes fin janvier. Assise en face d'elle, un thé à la main, Success Johnson secoue la tête. "Ils n'en ont rien à faire de nous."
Diana a 48 ans et vient d'Ouganda. Success a 27 et a fui le Nigeria. Les deux femmes sont lesbiennes et craignent pour leur vie si elles doivent retourner dans leurs pays où l'homosexualité est punie par la loi. C'est ce qu'elles ont expliqué à la police, puis aux travailleurs sociaux du centre d'accueil pour migrants, et enfin lorsqu'elles ont déposé leurs demandes d'asile à l'Office fédéral des migrations et des réfugiés (Bamf).
Mais rien n'y fait. Personne ne croit que les deux femmes sont lesbiennes. Elles n'auraient pas fourni suffisamment de preuves tangibles de ce qu'elles ont enduré en Ouganda et au Nigéria. Ainsi, fin 2018, Diana et Success prennent la fuite, encore. Elles quittent la Bavière où leur expulsion a été ordonnée, pour se réfugier à Berlin où deux églises leur offrent l'asile.
Échapper à la discrimination
Diana sait qu'elle est homosexuelle depuis son adolescence. Elle a une première petite amie à l'âge de 13 ans. Pendant plusieurs années, elle réussit à le cacher, mais lorsqu'à 16 ans ses parents découvrent son secret, ils mettent leur fille à la rue.
Cet événement va marquer la fin de sa vie de famille, de sa scolarité et le début d'une longue descente aux enfers, faite de peurs et d'incertitudes. Car en Ouganda, l'homosexualité est sévèrement punie par la loi par de lourdes peines de prison. Selon l'avocate Andrea Reents, qui représente Diana et a déjà défendu les dossiers de nombreux réfugiés LGBT en Allemagne, des pays comme l'Ouganda laissent faire et détournent le regard lorsque des homosexuels se font agresser. "Des personnes se font frapper en pleine rue, explique-t-elle. Le problème est que lorsque la police s'en mêle, ce ne sont pas les agresseurs qui sont arrêtés mais les victimes."
Diana a elle aussi a été violemment passée à tabac. Elle le raconte dans une vidéo de pétition qu'elle et Success ont adressée aux députés allemands. En 2014, grâce à certaines relations, elle réussit à monter à bord d'un vol pour l'Allemagne.
Lorsque Diana répond pour la première fois aux questions de la police allemande, elle explique être lesbienne. Mais en arrivant au centre d'accueil pour migrants où on la place avec d'autres Africains, notamment des Ougandais, les vieux démons refont surface.
"J'ai eu peur que si je faisais mon coming out, on pourrait me discriminer comme dans le passé", explique-t-elle. Alors au moment de passer son entretien avec les services de l'immigration du Bamf, elle répondra simplement qu'elle a fui l'Ouganda parce que ses parents auraient voulu la marier de force.
Dysfonctionnements
Pour Ulrike La Gro d'Asyl in der Kirche, une organisation qui regroupe des paroisses militant pour l'asile à l'église en Allemagne, cette situation est emblématique des dysfonctionnements du système du droit d'asile allemand lorsque celui-ci est confronté à des réfugiés vulnérables comme les LGBT. Selon Ulrike La Gro, lorsqu'une personne a fait savoir aux autorités qu'elle est homosexuelle, elle est "censée bénéficier de conseils et d'une protection spéciale lorsque vous vous rendez à l'interview du Bamf".
Par ailleurs, un autre problème concerne la langue des évaluations que le Bamf transmet au demandeur d'asile. Comme celles-ci sont sont rédigées en allemand, la personne a généralement besoin d'une aide pour se faire traduire le document. "Diana se disait que si quelque'un lui traduit son évaluation, les autres pourraient apprendre les raisons de son exil, et elle rencontrerait à nouveau des problèmes", explique Ulrike La Gro.
Success Johnson a elle aussi su qu'elle était lesbienne dès l'âge de 13 ans. Elle a grandi à Benin City au Nigeria. Comme en Ouganda, les relations homosexuelles affichées en public sont considérées comme illégales et sont punies de plusieurs années de prison. En 2014, une loi qui interdit les mariages entre personnes de même sexe a fini par mettre le feu aux poudres. La violence contre les LGBT est devenue de plus en plus tolérée. Success assure qu'il était devenu "impossible" pour elle de rester vivre au Nigeria. Ainsi, en 2016 elle quitte le pays pour se rendre en Libye avant traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Espagne.
Clash culturel
Success a dû mal à parler de ce que qui lui est arrivé. Elle s'arrête souvent en plein milieu d'une phrase, ses yeux rivés sur sa tasse de thé. "Je ne veux pas parler de l'Espagne, dit-elle. C'était douloureux". Elle a été violée pendant son voyage, avant d'accoucher d'une petite fille à son arrivée en Europe. Success raconte qu'elle a clandestinement vécu en Espagne, avant que les autorités ne lui enlèvent son enfant. Les détails de cet épisode sont néanmoins flous. Après un passage en Suisse, Success finit par atterrir en Allemagne.
Lors de sa première demande d'asile, elle n'a pas parlé de son homosexualité, en partie parce qu'elle craignait que l'on ne lui croit pas à cause de son enfant. "Je me suis dit que si je faisais mon coming out, ils allaient me tourner le dos". C'est seulement en rencontrant l'organisation LeTRa, un centre de conseils pour lesbiennes et réfugiés basé à Munich, qu'elle s'est sentie en confiance pour affirmer son homosexualité. C'est là qu'elle va rencontrer Diana Namusoke.
Selon Julie Serdarov, conseillère à LeTra, ils faut regarder les déclarations contradictoires des deux femmes à travers le prisme culturel. "Ces entretiens avec le Bamf exigent que vous développiez un récit très spécifique de votre propre biographie. Et je pense que ce que le Bamf attend n'est pas compatible avec ce que ressentent des personnes qui doivent se remémorer des événements très traumatisants."
Les avocats de Diana Namusoke et de Success Johnson ont tous les deux fait appel des rejets des demandes d'asile. Le verdict est toujours en suspens. L'asile de l'Eglise leur a permis d'éviter l'expulsion en novembre, mais la peur et l'anxiété sont toujours là.
"Nous ne sommes plus en sécurité", constate Diana, qui estime que l'attention médiatique autour de leur cas rend très difficile de cacher qu'elles sont homosexuelles dans leurs pays d'origine. "La nuit, vous n'arrivez pas à dormir, explique Success. Vous fermez un œil et gardez l'autre ouvert. Vous avez toujours peur."