Le sang coule dans les sillons du nord-est de la RDC
Selon l'Onu, 647 personnes ont perdu la vie en Ituri depuis mai 2020. Les conflits ethniques et autour des terres replongent la région dans la violence.
Anne, survivante d'une attaque contre son village
"Ils ont tué des femmes, des hommes et des enfants. Ils ont incendié plus de 250 maisons", dit Anne. Gravement brûlée au visage et au corps, Anne garde son regard fixé sur ce qui reste des maisons calcinées de son village. Lorsque son village a été attaqué, Anne a cherché refuge dans sa hutte avec sa famille de neuf personnes.
Un combattant d'un des sous-groupes de la milice Codeco en patrouille
La Coopérative pour le développement du Congo (Codeco) s'est éclatée en plusieurs entités. Leurs principales revendications sont la récupération des terres prétendument prises par les Hema et leur intégration dans l'armée nationale. De nouvelles négociations ont apporté un espoir de paix début 2020 mais le meurtre d'un chef de groupe armé par les militaires a mis un terme brutal aux pourparlers.
Au cœur du camp de déplacés de Tsuya
Le camp de Tsuya est situé sur les terres de la paroisse de Drodro dans la région de Djugu. La paroisse accueille 20.000 personnes déplacées des villages environnants. Des attaques répétées ont obligé les habitants à quitter leurs maisons en abandonnant leurs récoltes. Environ 160 écoles ont été attaquées et pillées, poussant 80.000 enfants à abandonner l'école.
Des conditions de vie précaires
Bisimwa, Christ et leur père se tiennent à l'extérieur de leur hutte de deux mètres carrés où se trouve Dira, la mère de la famille. La famille est arrivée dans le camp de Tsuya depuis six mois. Beaucoup de familles déplacées vivent dans de minuscules tentes de fortune faites de pailles et de bâtons, incapables de résister aux rafales de vent ou même à de brèves périodes de pluie.
Les nouveaux déplacés attendent l’aide de l’église de Drodro
Il n'y a pas beaucoup d'organisations humanitaires qui fournissent des abris. Les populations nouvellement déplacées s'installent donc dans des concessions religieuses, des bâtiments publics ou en plein air. Les femmes et les enfants non accompagnés courent un plus grand risque de harcèlement, d'agression ou d'exploitation s'ils vivent en plein air ou dans des abris sans murs ni porte sécurisée.
La promiscuité augmente les risques de maladies
Alors que la pandémie de Covid-19 aggrave déjà tous les aspects de la crise humanitaire, le manque d'abris adéquats favorise la transmission de maladies au sein des déplacés. Le fait que les tentes et les maisons disponibles soient surpeuplées, le manque d'accès aux installations d'hygiène et d'assainissement, combinés au manque d'eau potable : tout ceci rend le terrain fertile pour les épidémies.
Une crise négligée
Bonheur, Fortuné, Augustin et leur mère Matou (à l'intérieur de la tente) ont trouvé refuge il y a six mois, dans le camp de Tsuya, à 20 kilomètres de leur village. Ils n'ont reçu depuis, aucune aide alimentaire. Ils mangent ce que leur père trouve dans la brousse. Parfois, ils doivent dormir l'estomac vide. Dans le territoire de Djugu, la perte des récoltes aggrave l'insécurité alimentaire.
La hantise d'une nouvelle attaque
Dina et son mari Michel de Mazé, vivent maintenant au camp de Rho au sommet d'une colline où se trouve aussi un complexe de maintien de la paix de l'Onu. Pourtant, le camp a déjà été attaqué deux fois. "Nous vivons dans la peur des attaques mais nous ne pouvons pas retourner dans notre village de Mazé pour la même raison. Beaucoup de ceux qui ont tenté de rentrer ont été tués", témoigne Dina.
Cécile, six ans, parmi les déplacés de Rho
"Ma fille ne sait pas ce qu'est une école", affirme la mère de Cécile. Les enfants continuent de souffrir gravement de la violence et du chaos. Les attaques contre des centaines d'écoles ont contraint des dizaines de milliers d'enfants à s'éloigner des classes. Ils sont parfois violés et mutilés. Beaucoup d’autres font face à la malnutrition et à des maladies telles que le choléra et la rougeole.
Amener les groupes armés à faire durablement la paix
En août, le président Félix Tshisekedi a envoyé une délégation d'anciens seigneurs de guerre dans la province pour négocier la paix avec la Codeco. Ces discussions ont abouti à la signature d'un engagement à cesser les hostilités et à dialoguer avec le gouvernement. Le dialogue pour résoudre les différends fonciers est essentiel pour la résolution durable du conflit et l'apaisement de la région.
L'importance de la terre en Ituri
En Ituri, la terre est une ressource précieuse et un symbole, un lien fondamental et ancestral. Elle fournit aux agriculteurs des cultures et aux éleveurs des zones de pâturage. L'incursion des animaux sur les terres cultivées, l'occupation des espaces par les éleveurs, le non-respect des pâturages et des couloirs d'abreuvement par les agriculteurs alimentent les conflits et la violence.
Absence d'encadrement légal
Il n'y a pas de registre officiel des parcelles et champs coutumiers en Ituri. La précarité des frontières est l'une des principales sources de conflits. Ce problème est exacerbé par les mouvements de populations qui tentent après de reprendre leurs terres. Que ce soit par hasard, par erreur ou intentionnellement, le non-respect des délimitations antérieures engendre régulièrement des différends.
Pilo Mulindro, un chef traditionnel hema sous protection rapprochée
"Aujourd'hui, ma vie est menacée. Je n'aime pas vivre comme ça, sous protection, mais je n'ai pas d'autre choix", avoue le chef. "La justice est le seul recours pour surmonter nos différends. Nos terres sont pleines de ressources, elles sont fertiles, mais les terres ne devraient jamais être placées au-dessus des vies humaines", plaide Pilo.
Joel Mande, un chef traditionnel lendu discute avec des gens de son ethnie
Le chef Mande est une figure de la communauté lendu de la région. Il prône une approche modérée en faveur de la cohabitation. "Nous devons nous parler, face à face et franchement les uns avec les autres. Nous devons voir ce qui est dans les yeux de l’autre. Nous devons mettre tous nos problèmes sur la table et trouver un moyen de vivre à nouveau pacifiquement ensemble", pense-t-il.
Un garde du groupe URDPC
Le gouvernement provincial poursuit la sensibilisation au profit de la cohabitation pacifique entre les communautés lendu et hema. Ce processus a conduit à la reddition de nombreux combattants. Cependant, l’absence d’un programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion a conduit à la dispersion de plusieurs d’entre eux et à la reprise des hostilités.
Les attaques contre les civils ont causé la mort de 647 personnes en Ituri depuis mai 2020, d'après les Nations unies. La reprise du conflit foncier très ancien opposant Lendu et Hema plonge les deux communautés ethniques dans une spirale de violences.
Près de 850.000 habitants ont dû prendre la fuite l'an dernier. Les Lendu sont en majorité des agriculteurs. Ils ont rejoint les terres de l'Ituri depuis la vallée du Nil Blanc au 10e siècle. Les Hema sont des éleveurs nomades qui ont immigré en Ituri depuis l'Ouganda au début du 19e siècle. Ils sont majoritaires dans la région.
Durant la colonisation belge, les Hema ont été privilégiés dans la politique de l'éducation, rendant ceux-ci puissants et en mesure de prendre le dessus à la fin de la colonisation. Alors que les négociations de paix sont dans l'impasse, des villages sont brûlés, des femmes, hommes et enfants sont violés et mutilés.