Le bilan économique de Paul Biya divise
11 septembre 2018"Le Cameroun, comme la plupart des pays, a évolué dans un contexte encore fortement marqué par la crise économique et financière mondiale. Les recettes fiscales et douanières ont diminué. Et l’emploi en a souffert. Comme il était prévisible, les investissements en provenance de l’extérieur ont été différés, et le crédit s’est resserré. Au total, notre économie a fléchi, c’est vrai. Mais elle n’a pas été ébranlée dans ses fondations."
Ainsi s’exprimait le président camerounais, au lendemain de sa réélection en 2011 dans une adresse à la nation, faisant allusion à la crise économique et financière mondiale en 2008. Paul Biya a annoncé ensuite que le Cameroun sera un vaste chantier à partir de 2012. Il a fait comprendre que son précédent programme passera des grandes ambitions aux grandes réalisations économiques lors du septennat 2011 - 2018.
De grandes ambitions à de mauvaises réalisations
D’un nouveau pont sur le fleuve Wouri à Douala, en passant par la construction d’un nouveau marché dit moderne à Bertoua et le lancement de l’autoroute Douala-Yaoundé, la construction de nouveaux barrages hydroélectriques fait partie de ces nouvelles réalisations du président camerounais.
Pour autant, ces réalisations sont loin de faire l’unanimité. Célestin Njamen, conseiller municipal à Douala 1er, est très critique : "On dit qu’on a construit des barrages : Lom Pangar, Mekin, Memve’ele pour résorber le déficit en énergie électrique. Mais dans la vie des Camerounais de tous les jours, ce sont les délestages. Il n’y a pas de lumière, partout, dans tous les villages. A quoi servent ces grands barrages s’il n’y a pas d’effet sur les populations aujourd’hui. Ça a démarré en 2004, nous sommes en 2018, où sont les résultats ? Rien. On construit les éléphants blancs, on n’a pas de rapport, on n’a pas de bilan, on n’a pas les effets positifs sur les populations."
Célestin Njamen est conforté dans sa critique par l’homme qui fut directeur financier et comptable de la Société nationale d’électricité du Cameroun pendant huit ans, Garga Haman Adji lui-même candidat à l’élection présidentielle pour la troisième fois cette année.
"C’est nous qui avons construit le barrage de Song-Loulou. Nous avions réparé le barrage de Nachtigal. C’est notre prochain projet. Et c’est sur le même fleuve, Lom Pangar où il y a un barrage. Il ne produit pas l’électricité mais c’est pour garder l’eau pour qu’en période d’étiage, en saison sèche, on lâche l’eau là-bas pour que le débit soit le même. Nachtigal était prioritaire mais on l’a laissé, on est allé construire Memve’ele, Mekin, de petits barrages dans le Sud, dans le Nja-et-Lobo. Pourquoi ? Ce n’est pas pour de l’électricité. On dit qu’on a dédommagé les habitants, il faut payer des indemnisations : voilà l’objet du changement de notre programme."
Les deux responsables politiques soutiennent ainsi que Paul Biya est passé des grandes ambitions à de mauvaises réalisations. Célestin Njamen martèle : "Pareil, il a construit un port en eau profonde dans un village à Kribi alors même qu’il suffisait de désengorger celui de Douala puisque Douala fait au minimum 4 millions d’habitants, parce qu’un port, c’est là où il y a du marché, ou bien même Limbe qui est proche de Douala parce qu’on a un grand voisin qui est le Nigéria, il va plutôt dans le Sud construire un port en eau profonde qui n’est même pas opérationnel depuis des années."
Pour ce cadre du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, le régime de Paul Biya n’a jamais connu la croissance économique escomptée en trente-six ans de règne : "Premier pays d’Afrique subsaharienne, le Cameroun crée sa première compagnie aérienne en 1971, premier pays d’Afrique noire à avoir sa flotte maritime, la Camship, liquidées par le pouvoir. On est le premier pays à avoir ce qu’on appelle les logements sociaux : la Sic, créée sous Ahidjo, on l’a liquidé. On avait des Fonds d’investissements ruraux comme le Fogape, le Fonader, liquidés. On avait la Regifercam qui avait 224 wagons, donnée à Bolloré. Bolloré prend la Regifercam, ce qu’on appelle Camrail aujourd’hui, sans rien investir."
La crise anglophone et ses conséquences
Pire, la crise sécuritaire est arrivée pour aggraver la crise économique ces dernières années. Aux assauts des rebelles centrafricains dans l’est du Cameroun, se sont ajoutées les attaques de Boko Haram dans l’extrême nord. Et depuis fin 2016, des revendications anglophones ont été récupérées par des mouvements sécessionnistes, plongeant l’activité économique du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun dans le chaos.
Cette situation a mis au chômage des milliers de personne et fait perdre beaucoup d’argent à la Cameroon Development Corporation (CDC) dont le directeur général, Franklin Njie fait ici l’état des lieux sur les trois derniers mois : "Le coût estimé de perte des produits bruts est 10 milliards de francs cfa, regroupant l’huile de palme et la banane, de mai au 25 août."
Cette crise sécuritaire et économique alarme l’ancien maire de Njombe-Penja, Paul Eric Kingue, passé à l’opposition après huit ans de prison : "Le Cameroun est complètement instable. Nous sommes dans des vagues complètement incertaines maintenant. Ce n’est plus un pays où quelqu’un peut prendre le risque de venir mettre de l’argent maintenant. Aucun homme sensé au monde ne peut venir faire des investissements ici, pour deux raisons au moins. La première raison c’est que le président a 86 ans. Donc le premier verrou d’étranglement du Cameroun est l’âge du président de la République au-delà de ce que ses partisans peuvent dire. Maintenant, les différents fronts de guerre ouverts de part et d’autres font du Cameroun un pays qui n’est plus stable."
En tête en matière de corruption
A ce tableau, s’ajoute le phénomène de la corruption dont le Cameroun a été classé trois fois champion du monde par le passé, selon l’indice de perception de Transparency International. Ce que reconnaît l’ancien maire de Njombe-Penja : "La corruption aujourd’hui chez nous est devenu un véritable cancer, d’ailleurs qui s’est métastasé, parce qu’il n’y a pas un seul endroit où l’on ne trouve pas de corruption au Cameroun."
Le coût de la vie est devenu trop élevé, argue Célestin Njamen : "Je vois les gens qui me parlent dans la rue. Un kilo de maquereau qui passe de 700 francs à 1400 francs, c’est un problème. Les gens n’ont pas de pouvoir d’achat. Le salaire minimum brut, c’est 36 270 francs. Ça veut dire qu’après retrait de taxes, c’est au trop, 25000 francs, c’est-à-dire qu’il y a un grand mensonge d’Etat. On fabrique des chiffres sur l’économie, mais dans les faits les gens sont dans la misère."
Le taux de croissance économique du Cameroun est tombé à 3,8% en 2017, selon le FMI. Il pourrait remonter à 4,2% en 2018. Mais il restera loin des 8% de taux de croissance qu’il fallait réaliser depuis 2015 pour pouvoir atteindre l’émergence à l’horizon 2035. L’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun s’en va se tenir dans un environnement de crise économique et sécuritaire critique.