Biden marque le changement de cap post-Trump. Vraiment ?
21 janvier 2021Dans les heures qui ont suivi son investiture, Joe Biden a signé 17 décrets qui reviennent sur des mesures-phares du mandat de son prédécesseur.
La porte-parole de la présidence, Jen Psaki, a expliqué que l'objectif de ces textes était de faire face aux multiples "crises" que doivent affronter les Etats-Unis : sanitaire, économique, climatique… mais ils donnent aussi l'impression que Joe Biden doit commencer son mandat en réparant "la casse" initiée par Donald Trump- Ce petit film de l'équipe Biden est d'ailleurs sur le thème de la réparation:
Environnement, ONU, OMS etc.
Ces décrets ont valeur de symboles.
Ils amorcent un retour au multilatéralisme, avec la réintégration des Etats-Unis dans des structures comme l'Organisation mondiale de la santé. Le pays était d'ailleurs représenté dès aujourd'hui par l'immunologue Anthony Fauci à une réunion du conseil exécutif de l'OMS.
Joe Biden compte rejoindre aussi l'Accord de Paris sur le climat et a écrit un courrier en ce sens à l'Onu.
Dès hier, il a stoppé le pipeline controversé Keystone-XL vers le Canada ainsi que le raccordement de gisements de gaz et de pétrole situés dans une zone naturelle protégée de l'Alaska.
Non au racisme
Le nouveau locataire de la Maison Blanche entend revenir sur la politique anti-immigration décidée par Donald Trump. Il arrête la construction du mur de séparation à la frontière avec le Mexique et suggère un soutien financier au Guatemala, au Salvador et au Honduras, principaux pays d'émigration vers les Etats-Unis en Amérique latine.
Joe Biden annule également l'interdiction faite aux ressortissants de certains pays – à majorité musulmane – de se rendre aux Etats-Unis.
Il va proposer au Congrès d'adopter une loi qui régularise la situation de 700.000 "Dreamers", ces jeunes enfants arrivés aux Etats-Unis de manière clandestine : une naturalisation à termes sera toutefois soumise à des conditions.
La lutte contre le racisme et les inégalités est également écrite en lettres capitales au programme de ce début de mandat : les agences fédérales devront organiser des audits pour faire la chasse aux discriminations en leur sein, le personnel sera de nouveau formé à l'acceptation de la "diversité".
La présidence annonce de nouvelles dispositions pour les semaines et les mois à venir.
Diplomatie aux Proche- et Moyen-Orient
En revanche, Joe Biden ne devrait pas changer de cap vis-à-vis d'Israël, dont il serait, selon le premier ministre Netanyahu, un "grand ami". A en croire Anthony Blinken, le futur ministre des Affaires étrangères, l'administration de Joe Biden ne reviendra ni sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l'Etat hébreu ni sur le déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem.
Les accords d'Abraham, qui scellent le rapprochement d'Israël avec plusieurs pays arabes, ne devraient pas non plus être remis en question.
La vice-présidente, Kamala Harris, a un mari juif, Douglas Emhoff. Elle-même a milité dans sa jeunesse au sein du Jewish National Fund, association favorable notamment à l'expulsion de Palestiniens de Jérusalem-Est. Elle se souvient devant le American Israel Public Affairs Committee, en 2017, d'avoir récolté des dons pour la plantation d'arbres en Israël.
En 2017, elle coparraine une résolution visant à réprimander l'administration Obama pour avoir fait condamner par le Conseil de sécurité américain la politique de colonisation menée par le gouvernement israélien dans les territoires palestiniens.
Mais personnellement, si Kamala Harris se dit favorable à une "solution à deux Etats" au Proche-Orient, elle affirme aussi refuser d'"imposer une résolution à ce conflit" depuis l'extérieur.
Vis-à-vis de l'Iran, Joe Biden partage la position de Barack Obama selon laquelle il faut diminuer les tensions avec Téhéran pour mieux contrer l'ascension diplomatique de la Chine.
Il n'a toutefois pas indiqué s'il était prêt à lever les sanctions pour revenir à l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 ou s'il comptait négocier un nouvel accord, étant donné les changements géopolitiques opérés depuis, notamment en Syrie, où l'Iran appuie militairement le régime de Bachar al-Assad.
Cette main américaine qui pourrait bien se tendre en direction de Téhéran risque de déplaire à l'Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis. Ces pays avaient lié des liens étroits avec Donald Trump et craignent un retour de la politique de Barack Obama, qui avait notamment accepté les Frères musulmans et abandonné ses alliés Moubarak et Ben Ali au moment où ils vacillaient.
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Réaction de l'Allemagne
Ces premiers décrets signés par Joe Biden n'ont pas échappé à Angela Merkel qui se félicite "d'un éventail d'accords beaucoup plus large" avec la nouvelle administration américaine.
"Si vous regardez simplement les décrets qui ont été signés hier (mercredi par Joe Biden), vous pouvez voir que nous pouvons travailler ensemble à nouveau" sur des domaines comme le climat ou l'immigration, a déclaré la chancelière allemande devant la presse.
Plusieurs personnes nommées pour faire partie de l'équipe Biden ont déjà servi sous Barack Obama ou Bill Clinton. Ce qui facilitera leur prise de fonctions et leur permettra de renouer plus rapidement avec leurs anciens partenaires, en Europe notamment, de l'avis de Peter Beyer, membre de la CDU d'Angela Merkel et coordinateur des relations transatlantiques au sein du gouvernement allemand, qui estime sur les ondes de Deutschlandfunk qu'"il n'y a pas de temps à perdre".
Peter Beyer appelle de ses vœux un "renouveau des relations transatlantiques" pour "reconstruire l'Occident", débarrassé de toute nostalgie.
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Symboles d'une nouvelle ère
Joe Biden veut montrer à quel point son mandat représente une rupture avec son prédécesseur.
Le mandat de Donald Trump aura lui-même été marqué par des décisions non-concertées, prises parfois sur un coup de tête, en quête de rupture avec son prédécesseur honni : Barack Obama.
L'un des exemples les plus frappants était sans doute de revenir sur l'instauration d'une couverture sociale accessible à tous, l'"Obamacare".
Dans un système présidentiel, comme celui en vigueur aux Etats-Unis, les présidents fraîchement élus veulent souvent imprimer leur marque propre, surtout lorsque leur accession au pouvoir constitue un changement d'orientation idéologique de la Maison Blanche.
Toutefois, en dépit des excentricités du président sortant, Donald Trump ne sera pas parvenu à ébranler en profondeur les institutions démocratiques. La preuve en est l'élection de son rival démocrate - de justesse - malgré les dénonciations de fraude par le camp Trump, malgré l'assaut de ses partisans sur le Capitole.
Aux Etats-Unis, les pouvoirs, certes étendus, du président sont tout de même encadrés par deux chambres législatives fortes et des représentations décentralisées d'un exécutif puissant aussi dans les Etats fédérés.
Que restera-t-il du trumpisme ?
Donald Trump est aussi personnellement affaibli : sa réputation a été érodée par l'assaut de trumpistes fanatiques sur le Capitole. Ses affaires futures pourraient pâtir de sa baisse de notoriété.
Par ailleurs, les finances du multimilliardaire ne sont pas aux mieux : il doit des centaines de millions de dollars à des créanciers auprès desquels il s'était porté garant pour ses entreprises et un audit en cours risque de lui coûter cher en remboursements au fisc.
Néanmoins, l'ancien chef de la diplomatie allemande, l'écologiste Joschka Fischer, rappelle que 75 millions d'Américains ont voté pour Donald Trump en 2020, un électorat populaire que Joe Biden devra aussi prendre en compte et convaincre.
Et si la procédure d"empeachment" ne met pas un point final à la carrière politique de Donald Trump, rien ne l'empêche de fonder un nouveau parti.
De plus, si les républicains n'ont plus la majorité au Sénat, les démocrates ont perdu une dizaine de sièges à la chambre des représentants.
Sans oublier l'influence renforcée des républicains au niveau local à l'issue des élections du 3 novembre dernier, autant de facteurs qui pourraient freiner les aspirations de changement des démocrates dans une Amérique profondément polarisée.
Or, comme le souligne l'éditorialiste Serge Halimi, Joe Biden devra prendre garde à ne pas mener une "politique trop prudente, semblable à celle des démocrates, M. Biden compris, qui ont permis l'élection de M. Trump".