Histoire coloniale: des réparations pour panser les plaies ?
17 août 2020Le lien qui relie la Namibie et le massacre de dizaines de milliers de Hereros et de Namas est indéfectible.
Ces tueries sont souvent considérées comme le "premier génocide du XXème siècle". Elles ont été perpétrées entre 1904 et 1908 par l’Allemagne coloniale dans ce que les Allemands appelaient à l’époque le "Sud-Ouest africain allemand".
Le président namibien dit "non"
Il y a quelques jours, Hage Geingob, le président namibien, a surpris en rejetant une "proposition de l’Allemagne" de payer dix millions d’euros à titre de réparations pour ses crimes coloniaux.
Cette proposition a été qualifiée d’"inacceptable" par le chef de l’Etat namibien, qui se dit toutefois disposé à continuer les négociations (avec un nouvel émissaire), afin d’obtenir une "proposition revue [à la hausse]".
Etrangement, le gouvernement allemand a rétorqué ne pas être au courant de l’offre de réparations.
Des négociations ont effectivement lieu depuis 2015 entre les deux pays en vue de panser ces plaies historiques.
En plus des excuses officielles de l’Allemagne pour les crimes coloniaux commis, la Namibie réclame que l'accord comprenne des engagements de l’Allemagne en vue du paiement de réparations.
Plusieurs restitutions d'ossements, d'objets et d'oeuvres d'arts spoliés ont déjà été restitués aux Namibiens.
L'émissaire allemand surpris
Ruprecht Polenz, représentant spécial du gouvernement allemand pour le dialogue avec la Namibie, se déclare surpris par l'offensive du président Geingob. Dans une interview accordée à la Deutsche Welle, il explique que "de la part du gouvernement allemand, il n’a jamais été question de dix millions d’euros de réparations."
Il ajoute : "Je ne sais pas d’où vient ce chiffre, jamais je n’ai parlé avec le gouvernement namibien de montants concrets."
Néanmoins, les relations entre les deux pays sont et resteront excellentes, assure Berlin, qui s’appuie sur sa politique de développement. Depuis 1990, le gouvernement allemand a mis à disposition des pouvoirs publics namibiens plus de 800 millions d’euros.
Mais pas question pour Ruprecht Polenz de mêler coopération bilatérale et le travail sur le passé et les crimes coloniaux.
Les problèmes financiers de la Namibie
Pourquoi le gouvernement de la Namibie augmente-il actuellement la pression sur l’Allemagne ?
Frederico Links, expert à l’Institut Windhuker de recherche sur les politiques publiques (IPPR) explique l’action du gouvernement namibien par la crise financière que traverse le pays ces dernières années.
Ce à quoi s’ajoutent les pertes dues aux sécheresses et à la pandémie actuelle : "Tout cela renforce la pression sur le gouvernement. C’est une tentative de récolter de l’argent où cela est possible", estime Federico Links.
La terminologie qui pose problème
Dans les négociations, la terminologie joue un rôle important. Faut-il parler d’indemnités ? De réparations ? Quelle forme doit prendre la compensation versée par le gouvernement allemand ? Comment dédommager des peuples entiers pour des dizaines de milliers de morts ?
Les représentants des Namas et des Hereros appellent le gouvernement allemand à présenter des excuses ainsi que le versement de réparations.
De son côté, l’Allemagne hésite à utiliser le terme "réparation" et préfère de parler de "plaies qui se pansent".
Pour les négociateurs namibiens, le terme n’est pas assez fort, explique Frederico Links.
"L’Allemagne veut assumer sa responsabilité politique et morale pour les crimes commis entre 1904 et 1908", souligne Ruprecht Polenz dans son interview à la DW.
Le droit et l’honneur
Mais pour le gouvernement allemand, il ne s’agit pas d’une question juridique.
"Des tribunaux saisis par les Hereros et les Namas l’ont également affirmé : il s’agit d’une question politique et morale. C’est la raison pour laquelle nous choisissons dans nos déclarations des termes qui expriment cela. Et non pas des termes qui sont au sens strict des termes juridiques."
Frederico Links est sûr que la terminologie restera au cœur des négociations : "Pour les Hereros et les Namas, c’est une question d’honneur – et une question matérielle. On paie les réparations directement aux victimes ou bien aux descendants."
Hage Geingob sous pression
Le clivage entre les descendants des victimes et le gouvernement de Namibie reste tout de même très profond.
Les descendants ne se sentent pas dignement représentés. Le chef traditionnel des Hereros, Vekuii Rukoro, a réagi à la déclaration du président Geingob :
"Le président a parlé de "réparations" à plusieurs reprises. Mais on sait que le gouvernement allemand refuse avec vigueur d’utiliser ce terme et n’approuve que le financement ciblé de projets validés au préalable "
Pendant des années, les représentants des victimes demandaient une participation active aux négociations. Aujourd’hui, les populations nama et herero perdent confiance en la capacité de négociation du gouvernement namibien.
D’autant qu’en cette année électorale en Namibie, le gouvernement est vulnérable. Mais il se doit d’arracher un accord avec l’Allemagne, juge Frederico Links : "Aux yeux de ces peuples [herero et nama], toute autre issue signifierait la défaite totale du président."
Des projets d’indemnisations dans sept régions différentes
Selon des sources namibiennes, le gouvernement du président Geingob essaie de faire avancer les négociations avec l’Allemagne.
Plusieurs projets d’indemnisation devraient être réclamés cet été au gouvernement allemand dans les régions suivantes : Kharas, Hardap, Khomas, Kunene, Omaheke, Otjozondjupa et Erongo. C'est là, où vivent encore aujourd’hui les descendants des victimes du génocide.
Selon Ruprecht Polenz, cela est aussi dans l’intérêt du gouvernement allemand : "Lors des entretiens, nous avons décidé de faire de la formation professionnelle une priorité, ainsi que les infrastructures et le secteur de la santé dans les régions où habitaient autrefois les communautés" qui ont subi les violences.
En attendant les excuses…
Le président namibien a indiqué plusieurs fois que le gouvernement allemand serait prêt à présenter "des excuses sans réserve au gouvernement namibien, à son peuple et aux communautés touchées".
Rupert Polenz partage cet avis : "L’Allemagne veut présenter ses excuses le plus vite possible, dès aujourd’hui si cela était possible". Et pourtant, le gouvernement attend encore : "Même si on veut demander pardon, on ne doit pas pousser l’autre côté à une réaction précipitée".