Helen Joseph : militante anti-apartheid
7 juin 2021Née le 8 avril 1905 dans un village du West Sussex, en Angleterre, Helen Joseph a passé la plus grande partie de son enfance à Londres. Diplômée en anglais, elle accepte d'abord un poste d'enseignante en Inde avant de s'installer en Afrique du Sud dans les années 1930, où elle épouse un dentiste et rejoint le club des Sud-Africains blancs aisés.
Son travail avec l'armée pendant la Seconde Guerre mondiale lui a peut-être ouvert les yeux, mais c'est son travail social qui l'a probablement poussée à se joindre à la lutte contre l'apartheid en 1952 - tout comme d'autres travailleurs sociaux notables comme Winnie Madikizela-Mandela.
La DW s'est entretenue avec Carl Niehaus, lui-même vétéran du Congrès national africain et ancien porte-parole de Nelson Mandela, pour discuter de la vie d'Helen Joseph.
DW : Quand avez-vous rencontré Helen Joseph ?
Carl Niehaus : J'ai rencontré Helen Joseph à l'âge de 19 ans et elle est devenue l'une des mentors politiques les plus influents de ma vie.
DW : Quel genre de personne était Helen Joseph ?
Carl Niehaus : C'était quelqu'un de très engagée et dotée de principes. Elle était fortement influencée par sa vision chrétienne selon laquelle tous les gens sont créés par Dieu et égaux. Elle était convaincue qu'il fallait s'opposer à l'État raciste de l'apartheid. Elle s'est donc engagée au sein du Congrès des démocrates, qui a rejoint l'alliance de l'ANC.
DW : L'alliance ANC a réuni des partis de tous les groupes raciaux séparés sous l'apartheid dans le but d'obtenir le soutien de tous ces groupes. Pourquoi l'alliance lui a-t-elle donné une chance de diriger ?
Carl Niehaus : Sa capacité à exprimer ses opinions a fait d'elle l'une des leaders les plus remarquables de cette alliance. Elle a eu l'occasion de présenter une section de la charte de la liberté lors du Congrès du peuple à Kliptown et a dirigé la célèbre marche des femmes vers les bâtiments de l'Union en 1956.
Le 9 août 1956, 20 000 femmes ont exprimé leur colère contre les politiques d'apartheid, l'une d'entre elles étant l'obligation pour les femmes de porter des laissez-passer, une mesure qui limitait leur liberté de mouvement et leurs chances de travailler et de s'occuper de leur famille. Avec une femme noire, une "de couleur" et une Indienne, Helen Joseph a mené la marche et laissé des liasses de pétitions au bureau du Premier ministre J. G. Strijdom.
DW : Quelles étaient certaines de ses valeurs féministes ?
Carl Niehaus : Elle pensait que les femmes devaient se lever et se battre pour elles-mêmes. Elle était convaincue que ceux qui abusaient d'elles méritaient d'être punies.
DW : Comment ou pourquoi cette femme blanche d'origine anglaise s'est-elle mêlée au départ à la résistance anti-apartheid ?
Carl Niehaus : Elle était engagée dans une société non-raciale et dans l'obtention de la liberté pour tous les Sud-Africains. Elle était la personne la plus non-raciale que j'ai jamais connue.
Ayant la quarantaine lorsque le système de l'apartheid est entré en vigueur, Helen Joseph faisait partie de la première génération de militants anti-apartheid.
DW : Quels sont vos souvenirs d'elle les plus marquants ?
Carl Niehaus : Je l'ai rencontrée une fois alors qu'elle avait déjà plus de 70 ans. Elle était encore pleine de vigueur et participait pleinement à la lutte contre l'apartheid. C'est à cette époque qu'elle a été mise en résidence surveillée à Johannesburg, pendant environ cinq ans.
DW : Le système n'était pas connu pour être clément envers son opposition blanche. Avez-vous été témoin d'incidents de brutalité dont Helen Joseph a été victime ?
Carl Niehaus : Il y a eu plusieurs fois où les tenants de la suprématie blanche de l'apartheid sont venus chez elle et ont ouvert le feu alors qu'elle était vieille et sans défense. Je me souviens qu'un matin, après un tel incident, je suis arrivé chez elle et je l'ai trouvée occupée à balayer les vitres des fenêtres qui avaient été brisées. Il y avait du feu dans ses yeux. Elle était extrêmement en colère, et elle n'arrêtait pas de dire "ils peuvent nous tuer, mais ils ne tueront jamais l'idéal de la lutte pour la liberté dans ce pays "
Je me souviens aussi de la visite qu'elle m'a rendue lorsque j'ai été arrêté. Elle est également venue à mon procès et s'est assise au premier rang sur un fauteuil roulant. Chez elle, elle me demandait toujours de m'agenouiller avec elle devant une croix en bois qu'elle avait posée sur une table. Elle se prononçait avec force contre le narcissisme et le racisme.
DW : Quels sont les moments de militantisme dont vous vous souvenez encore, qui vous ont marqué ?
Carl Niehaus : Elle a fait en sorte que l'on se souvienne de ceux qui étaient incarcérés et de leurs familles. Chaque jour de Noël, elle organisait une fête et à 12 heures précises, elle portait un toast et disait : "À nos camarades absents".
DW : Est-ce que vous vous rappelez des derniers jours d'Helen Joseph ?
Carl Niehaus : Elle était une battante jusqu'à son dernier souffle. J'étais à son chevet lorsqu'elle est morte le jour de Noël, à 12 heures précises. Elle est morte dans un hôpital de Johannesburg, aujourd'hui connu justement sous le nom d'Helen Joseph.
C'était en 1992, lorsque le chemin vers une Afrique du Sud démocratique a été tracé. Le changement de nom de l'ancien hôpital J. G. Strijdom en 1997 a été une victoire posthume sur le Premier ministre contre lequel les femmes s'étaient autrefois ralliées. C'était l'un des nombreux actes symboliques réalisés par les compagnons d'armes de longue date de Joseph.
DW : Helen Joseph a-t-elle toujours été d'accord avec les autres chefs de file de la lutte ?
Carl Niehaus : Dans certaines de mes dernières conversations avec Helen Joseph, elle a exprimé son inquiétude. Elle trouvait que le président Nelson Mandela et le Congrès national africain commençaient à faire trop de compromis au cours des négociations. Elle avait le sentiment que le projet de réconciliation était promu au détriment de la justice.
Carl Niehaus est un vétéran du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir, dont il est membre depuis 42 ans. Il est actuellement membre du Comité exécutif national de l'Association des vétérans militaires de l'Umkhonto Wesizwe.
Les professeurs Doulaye Konaté, Christopher Ogbogbo et Lily Mafela ont contribué à la réalisation de ce récit qui fait partie de la série"Racines d'Afrique". Une série de la Deutsche Welle, en coopération avec la fondation Gerda Henkel.