Des larmes de joie et de soulagement... C'était dimanche 7 juillet au soir, sur la Place de la République à Paris... Les électeurs du Nouveau Front populaire n'en croyaient pas leurs yeux : l'alliance des gauches est arrivée première à l'issue des élections législatives - un scrutin marathon, organisé en trois semaines, suite à la dissolution de l'Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron.
Un grand "ouf" de soulagement, couplé toutefois d'une inquiétude : si le Rassemblement national et ses alliés ne sont finalement arrivés que troisièmes, aucune des autres formations n'a obtenu suffisamment de députés pour constituer une majorité et donc, un gouvernement.
Eviter le blocage des institutions
Les élections en France étaient largement suivies à l'étranger, et notamment en Allemagne, qui fait elle aussi face à la montée de l'extrême droite. Le député Nils Schmid, porte-parole du groupe social-démocrate pour les questions de politique étrangère au Bundestag et co-président du bureau de l'Assemblée parlementaire franco-allemande, confirme cette impression mi-figue, mi-raisin, à l'annonce des résultats...
"On était très soulagé en Allemagne parce que le RN n'a pas la majorité absolue des sièges et ne jouera aucun rôle dans la formation d'un gouvernement. Donc cela est rassurant, mais pour le reste, il n'y a pas de majorité claire dans l'Assemblée nationale, donc on risque d'avoir une période longue d'incertitude politique et d'instabilité gouvernementale."
Pour éviter le blocage des institutions - car la constitution française n'autorise pas de nouvelle dissolution avant un an - les partis n'ont d'autre choix que d'envisager de travailler ensemble... Soit en formant un gouvernement minoritaire, comme l'a fait le camp présidentiel en 2022, soit en formant une coalition gouvernementale.
C'est une pratique courante en Allemagne depuis la République de Weimar, mais surtout depuis la création de la République fédérale en 1949. Le chrétien-démocrate Konrad Adenauer, premier chancelier fédéral, avait l'habitude de s'allier avec des petits partenaires pour assurer sa majorité... A l'époque, les négociations étaient menées loin des caméras, en toute discrétion.
Des discussions exploratoires au contrat, les phases jusqu'à la coalition
Cela change à partir des années 1960, avec l'entrée en jeu du parti libéral, le FDP. Anna Karla est historienne et spécialiste des relations franco-allemandes à l'Université libre de Berlin.
"C'était en 1961, la coalition entre la CDU d'Adenauer et les libéraux... Adenauer ne pouvait plus gouverner tout seul avec des tout petits partenaires et le FDP commençait à jouer un rôle politique. Cet accord permettait au partenaire junior de la coalition de dire que chacun a discuté, donné son avis sur l'avenir de cette période législative et qu'on publie cet accord. Depuis, c'est devenu courant qu'on suive ces négociations de coalition, qui sont toutefois informelles. Ce sont les chefs de parti qui invitent mais des fois ce sont des petits partis qui commencent les discussions de coalition."
Comment est-ce que la formation d'une coalition gouvernementale se passe dans la pratique ? Député depuis 2017, Nils Schmid a déjà vécu deux fois de près ce scénario...
"Il y a deux phases: la première, exploratoire, où il faut voir quels partis pourraient entrer dans une deuxième phase de négociations proprement dites. Dès qu'un, deux ou trois partis se sont mis d'accord pour formaliser le début d'un processus d'ouverture de négociations, cela peut durer plusieurs semaines jusqu'au contrat de gouvernement."
Objectif : former une majorité absolue pour assurer l'élection d'un chancelier ou d'une chancelière par l'assemblée parlementaire, tel que le prévoit la Constitution allemande. Parfois, les partis qui ont engagé des négociations ne trouvent pas de terrain d'entente, et on recommence à zéro. Cela a été le cas par exemple après les élections de 2013.
"D'abord les CDU, les Verts et les libéraux ont tenté de former un gouvernement de coalition, ils ont échoué et on a vu le retour de la grande coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates et cela a duré quelques mois."
La grande coalition, un modèle que connaissent bien les Allemands. La première date de 1966, mais plus récemment, il y en a eu trois sous Angela Merkel : en 2005, 2013 et 2018. Une alliance a priori des contraires puisque les sociaux-démocrates, de la gauche au centre-gauche, n'ont pas vocation à gouverner avec les chrétiens-démocrates, du centre-droit jusqu'à la droite.
Un instrument pragmatique de démocratie
Mais d'autres coalitions sont encore plus osées, avec des partis de camps opposés... On les trouve plutôt au niveau régional : il y a par exemple la coalition "Jamaïque", de couleur noire-verte-jaune, ou encore "Kenya", de couleur rouge-noire-verte. Au niveau fédéral, c'est un "feu tricolore" qui gouverne actuellement : une "Ampelkoalition" composée du SPD - rouge -, des Libéraux - jaunes - et des écologistes - verts. Anna Karla rappelle un élément essentiel de ce qui définit une coalition :
"La coalition, c'est un instrument pragmatique de la démocratie consensuelle, pas un mariage d'amour pour toujours. C'est un instrument pour une période législative de trouver un compromis."
Jusqu'où peut aller le compromis ? Dans le cas de la coalition actuelle, les négociations ont été menées sur une base claire. Les sujets tabous, qui ne pouvaient pas faire l'objet d'accord, ont été écartés. D'autres, considérés comme prioritaires par les partis pour honorer les promesses faites à leurs électeurs, ont été inscrits dans l'accord de coalition. Nils Schmid :
"La limite de vitesse sur les autoroutes, il n'y avait pas de compromis possible, on l'a donc exclue du champ des négociations. Plus important, les Libéraux tenaient absolument à la limitation du déficit budgétaire et rejetaient catégoriquement les augmentations d'impôts, alors que les Verts et le SPD étaient pour. Par contre, le SPD a imposé l'augmentation du salaire minimum et des minima sociaux. On a trouvé une formule qui respecte des points importants pour un parti, mais aussi libéré un espace politique pour accomoder des propositions qui étaient cruciales pour d'autres partis."
Dernier ingrédient : un projet-phare qui fait office de fil conducteur pour la coalition : le gouvernement d'Olaf Scholz, s'est donné comme défi "d'accélérer la modernisation de l'Etat", après 16 ans de gouvernements d'Angela Merkel. C'est notamment dans ce cadre que le code de la nationalité a été réformé, explique encore Nils Schmid.
Même si la conclusion d'un accord de coalition n'empêche pas les frictions entre les partenaires durant la législature, le modèle allemand peut-il inspirer la France ? Pour Nils Schmid comme pour Anna Karla, les responsables politiques français n'ont pas vraiment le choix.
Pour l'heure, le Nouveau Front populaire tient à appliquer son programme de rupture. De son côté, le camp présidentiel a déjà menacé de voter une motion de censure si des ministres du parti La France insoumise devaient figurer dans un gouvernement de coalition.
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Réparation pour les crimes nazis en Italie : les proches des victimes attendent
C’est un dossier vieux de près de quinze ans entre l’Allemagne et l’Italie.
En 2009, un tribunal italien a condamné pour la première fois l’Allemagne à payer des réparations aux proches des victimes de la Seconde guerre mondiale, déportées ou tuées par les troupes nazies.
C’est finalement l’Etat italien qui paiera ces réparations. Au terme de tractations diplomatiques, il y a tout juste un an, la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni a augmenté à 61 millions d’euros le budget alloué.
Notre correspondante Cécile Debarge est partie à la rencontre de ceux qui tentent d’obtenir justice. Reportage à Castignano, un petit village des Marches, dans le centre de l’Italie.
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