Face aux massacres, l'Etat congolais critiqué dans l'est
11 septembre 202058 personnes ont été tuées dans deux massacres cette semaine dans la province de l'Ituri, dans le nord-est de la RDC. Des exactions qui surviennent quelques semaines après la signature d’un accord entre les autorités et les miliciens de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco).
Selon nos informations, 23 personnes ont été tuées mardi (08.09) et 35 jeudi dans le territoire d'Irumu, situé dans le sud de la province de l’Ituri.
La récurrence de ces massacres est la manifestation visible de l’absence de l’autorité de l’Etat dans l’est de la RDC, déplore Thomas d'Aquin Mwiti, président de la Coordination provinciale de la société civile force vive au Nord-Kivu :
"Nous traversons une situation de non-État. En pleine journée, les éléments de la Codeco se sont introduits dans la ville. Ils ont encerclé les camps de déplacés, la prison aussi. Les agents de sécurité étaient où lorsque ces gens-là ont pu pénétrer dans une ville de la province, sans qu'il n'y ait un seul signal d’alerte ? Et à la fin, on négocie avec la Codeco, on donne de l'argent à la Codeco. C'est une catastrophe."
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Les rebelles ADF dans le viseur
Le ministre provincial de l'Intérieur, Adjio Gidi, a accusé les rebelles d’origine ougandaise, les Forces démocratiques alliées (ADF), d’être à l’origine de ces deux massacres, qui ont provoqué "un mouvement important de la population".
Les auteurs "sont des ADF qui fuient la pression militaire du côté de la province du Nord-Kivu, précisément de Beni", a-t-il précisé.
Il affirme que l'armée congolaise a mené depuis novembre dernier des "opérations d'envergure" contre les ADF dans la province du Nord-Kivu, voisine de l'Ituri. Ces miliciens, qui vivent en brousse, attaquent depuis plusieurs années les civils en Ituri face aux offensives de l'armée.
À l'origine des rebelles ougandais musulmans, les ADF, ont tué 890 personnes depuis avril 2017, d'après les experts du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), qui ont commencé leur décompte à cette date. Ces rebelles constituent l'un des trois groupes armés les plus violents parmi ceux qui sont encore en activité dans l'est de la RDC.
Boniface Musavuli, analyste des questions sécuritaires émet des réserves : les ADF originels n’existeraient quasiment plus :
"Ce sont des hordes de tueurs à Beni et dans le sud de l’Ituri. Nous sommes plutôt dans une sorte d’économie de pillage. On attaque un village. On tue des populations. Les survivants fuient. Et puis, les hordes de bandits pillent les biens de la population. Puis, ces biens, ces recettes sont vendus, parfois dans des réseaux contrôlés par certains officiers de l’armée", soutient le chercheur.
Des informations que dément toutefois le porte-parole des FARDC, le général Léon-Richard Kasongo, qui n’a pas souhaité nous accorder d’interview sur le sujet.
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Pour mettre un terme à ce cycle infernal de violence et d’insécurité, le député Juvénal Munubo Mubi, un élu de Walikale dans le Nord-Kivu, pense qu'"Il faut que l'armée se réorganise. Il faut mieux faire le travail de désarmement, démobilisation et réintégration. Il faut aussi des projets d'appui à la stabilisation. Parce que le soubassement, ce sont les conditions de vie. Il faut encadrer la jeunesse."
Juvénal Munubo Mubi fait partie de la délégation interinstitutionnelle (gouvernement-Assemblée nationale), pour le compte de l'Union pour la nation congolaise (UNC), le parti de Vital Kamerhe, l’ancien directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, aujourd’hui en prison :
"Nous sommes venus dans le cadre d'une mission interinstitutionnelle: gouvernement, Assemblée nationale, pour apporter réconfort à la population, pour écouter la population, échanger avec elle, comprendre les choses réelles de l'insécurité persistante dans cette partie du pays, proposer des pistes de solution et mieux faire le suivi pour que cette partie qui était jadis considérée comme le grenier de la République retrouve la paix. Parce que le potentiel est énorme ici pour le développement."
Selon l’ONU, plus d'un millier de civils ont été massacrés depuis décembre 2017 en Ituri. La plupart des victimes appartiennent à la communauté Hema.
En janvier dernier, au terme d’une visite dans cette province, la Haute-Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Michelle Bachelet, a dénoncé des "crimes contre l'humanité".
La province de l’Ituri avait été déchirée par un conflit communautaire entre Lendu et Hema entre 1999 et 2003. Ce conflit a causé la mort d’une dizaine de milliers de morts jusqu'à l'intervention d'une force de l'Union européenne, l’opération Artémis.