Quelles répercussions politiques la composition du nouveau Parlement européen aura-t-elle sur la politique de l’UE vis-à-vis des gouvernements et des populations en Afrique ? Mais aussi de la diaspora africaine qui vit en Europe ?
C’est pour aborder ces questions que nous avons joint Tim Glawion, professeur par intérim à l’Université de Fribourg, en Allemagne, et chercheur à l’Institut Arnold Bergstraesser
Ecoutez ci-dessus l’entretien avec Tim Glawion
DW : Tim Glawion, à quoi est-ce qu'on peut s'attendre avis de l’Afrique, après les élections européennes ? Est-ce qu'il va y avoir des grands changements, étant donné que le bloc PPE, de la droite modérée, reste la première force au sein du nouveau Parlement européen ?
Je crois que le premier changement, ça sera un recentrage sur l’Europe.
Malheureusement, on va avoir beaucoup plus d'accords entre certains pays [sur l’"externalisation des frontières"], avec le soutien de l'Union européenne, pour freiner l’immigration avant même que l’arrivée des personnes migrantes en Europe, même si ça a des conséquences très négatives sur le continent africain.
DW : On a vu dans plusieurs pays européens l'extrême-droite qui obtient plus de voix ou qui se maintient à un niveau élevé. Par exemple l'AfD en Allemagne, ou encore, bien sûr, le Rassemblement national en France, qui pourrait même obtenir une majorité à la prochaine Assemblée, à l’issue des législatives anticipées. Est-ce que ça aussi, ça peut entraîner des conséquences directes pour les Africains d'Afrique et la diaspora qui vit en Europe ?
Des conséquences directes, mais aussi indirectes.
Je crains que les partis d'extrême-droite ne créent une atmosphère où des propos racistes et anti-migrants, anti-Africains, deviennent de plus en plus communs, même dans les rues. Qu’il y ait beaucoup moins d'accueil envers les nouveaux arrivés et même envers les personnes qui sont en Europe depuis parfois des générations.
Les conséquences indirectes, c’est que malheureusement, jusque-là, les partis du centre et les partis du centre-droit ont tiré comme leçon qu'il faut imiter l'extrême droite avec leurs propres propositions, contre la migration, par exemple. À mon avis, c'est un échec.
On ne peut pas combattre l'extrême-droite avec les méthodes de l'extrême droite.
Il faut le faire avec des politiques qui sont inclusives, qui veulent combattre pour le bien humanitaire qui sont, par exemple, la libre-circulation des personnes, des biens et des idées.
DW : Est-ce que ça peut avoir aussi un impact sur la politique d'aide au développement, la coopération ?
On le voit déjà, je crois. Ces élections sont une prolongation des sentiments à l'échelle nationale qu'on voit maintenant à l'échelle européenne.
A l'échelle nationale, il y a déjà de fortes pressions pour réduire les fonds destinés à la coopération, l'aide au développement.
De toute façon, il y a des chercheurs – dont je fais partie - qui sont critiques envers l'aide au développement, mais pas pour les mêmes raisons que l'extrême-droite ! Nous pensons qu’elle n'est pas efficace et que ce n'est pas un échange d'égal à égal.
Les Africains sont les premiers à critiquer leur propre gouvernement, pour la corruption, pour ne pas produire les biens publics. Et c'est là où il devrait avoir une coopération entre les Européens et les Africains pour, ensemble, lutter contre la corruption, lutter pour le développement.
Je crois qu’il faut faire la différence entre la population, en Afrique, et certains gouvernements, en Afrique, qui ne représentent pas leur peuple.
Les gouvernements, notamment ceux qui sont de plus en plus autocratiques ou même dictatoriaux, diversifient leurs partenariats et ils considèrent comme bienvenu le fait que maintenant, au contraire, pour eux, l'Europe va redevenir un partenaire potentiel, parce que l'Europe sera de plus en plus prête à faire des partenariats pour leur propre intérêt, même si ça a des impacts négatifs sur la population.
On peut dire que la politique européenne et des différents pays membres de l'Union européenne vers l'Afrique a toujours été guidée par des intérêts propres. On peut le voir notamment avec le Tchad : ils n’ont pas tiré les leçons du Sahel, du Mali, du Burkina Faso, du Niger. N’ont pas compris que les partenariats avec des gouvernements ne peuvent jamais être de longue durée. La durée peut se créer seulement par des partenariats avec la population. Car les gouvernements passent et les populations restent.
C'est là où le dialogue doit commencer. Le dialogue ne doit pas être que l'Europe arrive et dise : "Il faut que vous coopériez avec nous au lieu de le faire avec la Russie ". Non ! On devrait y aller et dire : "Nous voulons comprendre ce que vous faites et comment vous voulez faire de la politique. Et dès qu'on aura compris ce que vous faites, on verra si on ne peut pas coopérer d’égal à égal". Mais malheureusement, ça, ce n'est pas l'approche de l'Europe envers l’Afrique.