Quand la Chine profite des scientifiques européens
19 mai 2022L'équipe d'investigation de la DW a rejoint la "China Science Investigation", un projet de recherche journalistique européen mené par la plateforme néerlandaise Follow the Money et la salle de presse allemande à but non-lucratif CORRECTIV.
Au total, onze équipes de journalistes basés dans sept pays différents ont examiné pendant des mois la nature de la collaboration entre des scientifiques chinois et européens. Et ils ont trouvé un grand nombre de coopérations qui sont en lien direct avec l'armée chinoise.
Est-ce que l'Europe aide donc la Chine à moderniser son armée ? Il y a un risque semble-t-il selon cette enquête.
NUDT de Chine
Ceci est une vidéo de promotion pour l'une des meilleures universités chinoises. Elle vante les mérites de l'Université nationale de technologie de défense, la NUDT, qui se consacre à la modernisation de l'armée chinoise.
Cet établissement de prestige s'inscrit dans la "fusion du militaire et du civil" prônée par le Parti communiste chinois. Cette théorie veut intégrer l'armée dans les secteurs essentiels de l'économie du pays et vice-versa.
Mais si nous parlons de la NUDT aujourd'hui, c'est que ses chercheurs ont reçu un appui… dans des instituts de recherche en Europe.
Des milliers de collaborations scientifiques
Plus de 3.000 publications ont été co-signées par des scientifiques européens et de la NUDT, parfois sur des sujets très sensibles. L'équipe d'investigation journalistique a pu établir que des chercheurs allemands avaient été impliqués dans plus de 230 papiers en collaboration avec cette université chinoise.
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Naomi Conrad fait partie de l'équipe qui a enquêté pour la DW. Elle explique que sous des dehors inoffensifs, certaines de ces recherches scientifiques co-signées par des chercheurs européens et chinois pouvaient aussi être utilisées à des fins sécuritaires par la Chine : "Citons un exemple assez intéressant : c'est une étude qui examine comment vous pouvez suivre des groupes de personnes. La Chine est bien sûr un état de surveillance qui pourrait avoir un intérêt, par exemple, à suivre un certain groupe ethnique comme les Ouïghours. C'est donc un exemple de recherche qui pourrait avoir des applications civiles mais aussi plus néfastes, militaires."
Réglementations strictes
Pourtant, les recherches dans les domaines sensibles sont très réglementées. Katja Becker préside la DFG, la Fondation allemande pour la recherche, qui finance de nombreux travaux scientifiques. Elle assure que "la DFG n'encourage expressément aucune recherche ayant trait à l'armée. Ce domaine est exclu de la promotion de la recherche."
Et pourtant, les enquêtes le montrent : des recherches discutables ont bien été financées. A Berlin, le gouvernement argue de la liberté des chercheurs.
Au nom de la liberté des chercheurs
Jens Brandenburg, secrétaire d'Etat au ministère fédéral de l'Education et de la Recherche, l'explique par la Loi fondamentale allemande. "Le fait est qu'en Allemagne, la liberté de recherche s'applique, ce qui signifie que les instituts de recherche et les scientifiques décident eux-mêmes. Nous ne pouvons et ne voulons pas tout faire de manière centralisée depuis Berlin".
L'Allemagne et l'Union européennes considèrent pourtant la Chine comme une "rivale systémique", un Etat autoritaire qui n'a pas du tout la même vision du monde.
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L'experte de la Chine, Didi Kirsten Tatlow, résume la situation avec une touche d'humour : "Il y a un dicton qui dit "ne mordez pas la main qui vous nourrit". Je le retournerais en disant, "ne nourrissez pas la main qui vous mord"."