En moyenne, la CPI met cinq ans avant de juger ses accusés
18 juillet 2018Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) et chef du Mouvement de libération du Congo (MLC), a été acquitté le 8 juin dernier par les juges de la Cour pénale internationale (CPI) après dix ans passés dans la prison de la CPI à La Haye, aux Pays-Bas.
Si le cas Bemba est le plus spectaculaire pour ce qui concerne la longueur de la détention provisoire, il est loin d'être unique.
L'ancien président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, dont l'affaire est toujours en cours, est emprisonné depuis six ans et sept mois. Jugé dans la même affaire et toujours incarcéré, Charles Blé Goudé, ancien ministre de la Jeunesse et président de la Ligue des jeunes du parti présidentiel, a déjà passé pour sa part quatre ans et trois mois sous les verrous.
Autre accusé acquitté par la CPI, Mathieu Ngudjolo Chui, ancien dirigeant présumé du front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) en RDC, a passé quatre ans et dix mois dans sa prison de La Haye avant d'être finalement libéré.
Germain Katanga, ancien chef de la Force de résistance patriotique de l'Ituri (FRPI), est demeuré six ans et sept mois en détention provisoire avant d'être condamné à 12 ans de prison le 23 mai 2014 - une peine qui sera réduite un an plus tard.
Sur la base des informations délivrées par la CPI, il apparaît ainsi qu'en moyenne, les accusés jugés devant cette cour passent cinq ans en détention provisoire avant de connaître leur verdict.
Une moyenne largement supérieure à celle des tribunaux nationaux puisqu'en France, le principe est d'une année en matière criminelle - un seuil qui peut être prolongé jusqu'à trois ans.
En Allemagne, le code de procédure pénale ne fixe aucune limite mais il y a une "règle des six mois" qui constitue une norme tandis qu'en Espagne, la durée maximale de la détention provisoire varie de trois mois à deux ans.
La CPI justifie cette longueur de la détention provisoire par la complexité et la particularité des affaires traitées, les preuves étant plus difficiles à réunir dans des dossiers de génocides, crimes contre l'humanité ou crimes de guerre.
"De façon générale, je pense qu'il faut mentionner la grande différence de nature des crimes qui sont poursuivis par la CPI par rapport à la nature des crimes poursuivis au niveau national", estime Fadi el Abdallah, le porte-parole de la CPI. "Par définition, devant la CPI il s'agit d'enquêter et de poursuivre les auteurs de crimes de masse qui remplissent certaines conditions spécifiques comme l'existence par exemple d'une attaque systématique ou à large échelle contre une population civile. Après il faut prouver que cette personne a une haute responsabilité pour ces faits là. Il ne s'agit pas du fait que la personne ait participé comme soldat."
La CPI met en avant plusieurs étapes dans l'établissement potentiel de la culpabilité et notamment, pour pouvoir parler d'une "attaque systématique ou à large échelle", la séquence ou la fréquence des incidents.
"Ce n'est pas qu'il y a un incident à prouver mais une série d'incidents. Si la défense va contester chaque incident, cela veut dire qu'on a en réalité une série de vingt mini procès", ajoute Fadi el Abdallah.
180.000 euros par an
Selon la CPI, chaque cellule du quartier pénitentiaire est individuelle et occupe une surface de 10 m2. "La cellule standard dispose d'un lit, d'un bureau, d'étagères, d'un placard, d'un lavabo, de toilettes, d'une télévision et d'un interphone", peut-on lire sur le site de la CPI où il est encore précisé que les détenus, s'ils sont indigents, ont le droit de "téléphoner gratuitement à leurs conseils pendant les heures de travail."
La CPI dispose des structures nécessaires à la gestion de ces dossiers complexes et une autre explication à la lenteur des procédures n'est sans doute pas à chercher du côté du manque de personnel ou de moyen.
La Cour de La Haye, créée le 1er juillet 2002 par un traité international dénommé le Statut de Rome,dispose de 18 juges https://www.icc-cpi.int/bios-2 élus pour un mandat de neuf ans par l'Assemblée des Etats parties, et d'un procureur. Actuellement, c'est la gambienne Fatou Bensouda qui occupe ce poste.
Le budget pour 2018 s'établit à 147.431.500 euros. 83,5% de ce budget est absorbé par la greffe et le bureau du procureur et la somme allouée aux juges est de 12.712.200 euros.
"C'est tout à fait normal si on considère ce que fait la greffe de ce tribunal", ajoute Fadi el Abdallah, soulignant notamment la coopération avec les Etats et la gestion de six bureaux extérieurs, tous situés sur le continent africain.
Un juge permanent à la CPI perçoit un salaire de 180.000 euros annuel, soit légèrement en dessous de celui des juges de la Cour internationale de justice, également basée à La Haye, chargée pour sa part de régler les contentieux juridiques (différends frontaliers par exemple) entre Etats.
Le budget de la CPI est entièrement financé par les 123 Etats parties signataires du Statut de Rome.
A ce jour, 26 affaires ont été ouvertes auprès de la CPI, six personnes sont détenues, huit ont été condamnées, deux acquittées et 15 sont considérées comme en fuite - dont le président soudanais Omar el-Béchir et le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam Kadhafi.
Impact politique
La CPI est enfin régulièrement accusée de prendre des actes influencés par la politique. La récente décision de la procureure Fatou Bensouda demandant aux juges d'ouvrir une enquête sur les crimes de guerre commis en Afghanistan - notamment aussi par les forces américaines - ou encore la saisine de la Cour par la Palestine ont suscité des réactions irritées à Washington et Tel Haviv.
Le 22 mai dernier, le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, a ainsi référé à la CPI les supposés crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par le gouvernement d’Israël et il a demandé à la procureure d'ouvrir une enquête.
Du côté de la CPI, on est conscient des motivations politiques, notamment celles liées aux saisines par les Etats. En effet, les gouvernements sont tentés d'utiliser la CPI pour écarter un opposant politique gênant. Ainsi, à ce jour, toutes les saisines réclamées par les Etats - à l'exception de la Palestine - ont été faites par des pays africains.
"Bien sûr, la décision de ratifier le Statut de Rome à l'origine c'est une décision politique, la décision de saisir la CPI c'est une décision politique", admet Fadi el Abdallah. "Mais du moment où il y a une compétence pour la CPI d'enquêter et de poursuivre, il y a un travail judiciaire qui commence qui est complètement indépendant de la raison pour laquelle l'Etat a ratifié ou le Conseil de sécurité a saisi la CPI en demandant l'ouverture d'une enquête. Pour conclure sur ce point, bien sûr la Cour sait qu'il y a des conséquences parfois politiques pour certaines décisions mais ces conséquences politiques ne sont pas recherchées par la CPI."
Cet équilibre entre le politique et le judiciaire est particulièrement sensible dans le cas du procès de Jean-Pierre Bemba.
Acquitté des charges de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, celui-ci a néanmoins été condamné le 22 mars 2017, ainsi que quatre autres accusés, pour corruption et subornation de 14 témoins.
La peine infligée à Jean-Pierre Bemba dans cette affaire annexe a été fixée à un an de prison et 300.000 euros d'amende. Mais la jugeant trop légère, la Cour d'appel l'a annulée et a réclamé à la Chambre de première instance de fixer une nouvelle peine.
C'est ici que l'impact politique de la décision à venir se dessine. La peine, non encore prononcée, devrait être "au maximum de cinq ans".
Or Jean-Pierre Bemba, depuis l'ouverture du dossier annexe de corruption et subornation de témoin le 23 novembre 2013, a passé quatre ans, six mois et 20 jours en détention provisoire pour ce qui concerne cette affaire.
Si la CPI prononce une peine de cinq ans, Bemba devra retourner en prison après avoir bénéficié d'une libération provisoire le 12 juin dernier.
Si la condamnation prononcée est de quatre ans et demi ou moins, alors Jean-Pierre Bemba restera libre et pourra retourner, s'il le désire, en République démocratique du Congo pour replonger dans le jeu politique d'un pays qu'il a quitté il y a dix ans.