En Gambie, Yahya Jammeh face aux urnes
1 décembre 2016Près de 890 000 Gambiens sont appelés aux urnes, ce jeudi 1er décembre pour décider de celui qui gouvernera le pays pour les cinq années à venir - le favori de l’élection n’est pas un homme "nouveau": il s’agit du chef de l’Etat sortant, Yahya Jammeh, arrivé au pouvoir en 1994 à la faveur d’un coup d’Etat. L'opposition s'est rassemblée derrière Adama Barrow. Autre candidat, Mamma Kandeh, derrière lequel se sont rangés des déçus du parti au pouvoir.
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La défiance règne
22 ans de pouvoir autoritaire, de répression de la moindre contestation, ont rendu les gens méfiants jusqu’au sein des familles où l’on évite de se plaindre de la situation économique pourtant catastrophique. Hanna Forster, du Centre pour la démocratie et les Etudes sur les droits humains basé à Serrekunda, la plus grande ville du pays, connaît bien ce climat délétère: "Nous avons interviewé des gens qui nous ont dit qu’ils avaient peur de donner leur avis. Ils ont peur qu’on les associe aux mauvaises personnes." Et pour cause: les arrestations arbitraires, la torture, les enlèvements par les services de l’Etat sont monnaie courante, sous Yahya Jammeh. Alors évidemment, il est rare d’entendre des critiques directement dirigées contre le chef de l’Etat en Gambie, un pays décrété République islamique par son président en décembre dernier. Des diplomates occidentaux ont été expulsés, les femmes fonctionnaires ont l’obligation de couvrir leur tête. Peut-être que le président entend s’attirer les faveurs de ses nouveaux alliés du Golfe? Notons au passage qu’aucune mesure n’a été prise en revanche pour mettre un frein au tourisme sexuel venu d’Europe.
Répression brutale
Yahya Jammeh a remporté quatre scrutins par le passé, tous les cinq ans depuis 1996, mais toujours en intimidant en amont l’opposition. En avril de cette année, un opposant est mort en détention; des Gambiens se sont rassemblés pour protester en avril et mai, mais comme leur manifestation n’avait pas été enregistrée auprès des autorités, trente d’entre eux ont écopé de trois ans d’emprisonnement. En novembre, la nomination du candidat d’opposition, Adama Barrow, a été annoncée sur la radio publique GRTS, le chef du principal parti d'opposition avait appelé les Gambiens à "ériger la démocratie en principe!". Juste après, Momodou Sabally le patron de la chaîne a été renvoyé, puis arrêté par les services secrets, et placé depuis en détention provisoire, sans motif.
Et pourtant, le président et son parti, l’APRC, continuent d’avoir des soutiens au sein de la population. Yancouba Colley, du parti présidentiel, estime que "Le président a changé la vie des Gambiens. C’est pour cela que les gens l’aiment toujours."
La Gambie a effectivement fait des efforts pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement de l’ONU. En quelques années seulement, le taux de pauvreté a été réduit d’un tiers, la mortalité infantile a fortement diminué et les mutilations génitales féminines, qui touchaient les trois quarts des Gambiennes, ont été interdites. Cependant, des ressortissants gambiens continuent de quitter le pays par dizaines de milliers chaque année. Quant à ceux qui restent, ils tentent de contourner la censure étatique. Sur leur smartphone, beaucoup utilisent des connexions VPN. Ce qu’un chauffeur de taxi résume ainsi: "quand le gouvernement ferme une fenêtre, les gens ouvrent une nouvelle porte".