En Afghanistan, il a fallu négocier avec les talibans
2 avril 2020Les talibans négocient la libération d’une centaine de leurs combattants contre celle d’une vingtaine de soldats afghans qu’ils retiennent prisonniers.
Leur objectif est d’obtenir à terme la libération de 5.000 de leurs partisans actuellement écroués.
Une demande à laquelle le président Ashraf Ghani avait opposé au début une fin de non-recevoir avant d’assouplir sa position, en vue de pouvoir reprendre de véritables négociations politiques avec les islamistes et de faire taire les armes dans le pays.
Opération de charme
Les talibans profitent de l‘épidémie de coronavirus pour clamer dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux leur disponibilité à aider les autorités dans la lutte contre la maladie.
L’émirat islamique, peut-on entendre dans cette vidéo, aurait même ouvert des centres de quarantaine pour protéger la population dans certaines régions. Une partie de la population civile, désillusionnée, reste sensible à ce type de propagande aux accents sociaux.
Pour l’heure, aucun combattant de la milice ni aucun terroriste figure parmi les centaines de détenus libérés depuis le début de la semaine par les autorités – pour désengorger les prisons.
Un rapport de forces favorable aux islamistes
Les talibans sont en position de force pour négocier : malgré près de vingt années d’une guerre sanglante et extrêmement coûteuse, les Etats-Unis et l’Otan ont été incapables de vaincre militairement les insurgés, alors ils sont obligés de les considérer comme des interlocuteurs valables pour restaurer la paix.
L’acceptation des talibans à la table des négociations leur confère une légitimité politique qui confirme bien leur pouvoir de facto dans la société.
Alors que leurs intérêts n’avaient pas été pris en compte lors de la conférence de Bonn sur le nouvel ordre politique afghan, en 2001.
Ce sont d’ailleurs eux qui ont fixé les conditions du processus de paix à venir, en désavouant au passage le pouvoir afghan puisqu’ils ont dans un premier temps préféré négocier avec les Américains et avec d’autres représentants de la société afghane plutôt qu’avec le gouvernement en place.
Il n’est plus question pour l’heure d’une amnistie générale sur le modèle algérien mais non plus question d’ignorer les talibans comme on ignore certains groupes armés islamistes dans le nord du Mali.
Ras-le-bol de la population
Les autorités de Kaboul n’ont pas le choix : sans accord avec les talibans, il n’y a pas de réconciliation nationale et donc pas de paix possible.
Avec une population qui n’en peut plus de cette guerre interminable, les problèmes moraux que pose un dialogue direct avec les insurgés islamistes ont fini par être évacués.
D’autant que les talibans ne sont pas un groupe monolithique : ils sont composés de plusieurs mouvements allant d’anciens soutiens d’al-Qaïda à des nationalistes pachtounes, des intellectuels formés dans des madrasas du Pakistan ou encore des trafiquants d’opium et d’héroïne.
Un danger pour les libertés individuelles
Encore au pouvoir il y a vingt ans, les talibans avaient restreint les libertés individuelles, allant jusqu’à interdire aux femmes de sortir de chez elles, de travailler, d’étudier.
La musique était interdite. Les lapidations publiques alors ordonnées au nom de l’islam sont elles aussi toujours dans les mémoires.
Aujourd’hui, les intellectuels du pays, les femmes, les jeunes aspirent à la paix et, pour beaucoup, à une autre société, moins liberticide.
En 2020, les talibans affirment avoir changé et disent que lorsqu’ils reviendront au pouvoir, les femmes auront plus de droits "dans le cadre de l’islam", une formule trop vague pour faire renaître un espoir véritable de paix dans un Etat de droit.
Pour aller plus loin: cliquez sur la photo en haut de l'article et écoutez l'analyse de Karim Pakzad, ancien professeur à l'université de Kaboul et actuellement chercheur à l'IRIS, à Paris.