Vers une autre stratégie militaire de la France en Afrique
28 février 2023Emmanuel Macron a prôné lundi (27.02.2023), "l'humilité" et la "responsabilité" de l'action de la France en Afrique, refusant la "compétition" stratégique imposée selon lui par ceux qui s'y s'installent avec "leurs armées, leurs mercenaires", dans un discours sur la nouvelle politique africaine de l'Hexagone.
Le président français a fait état d'une prochaine "diminution visible" des effectifs militaires français en Afrique et un "nouveau modèle de partenariat" impliquant une "montée en puissance" des Africains.
"La logique est que notre modèle ne doit plus être basé sur des bases militaires comme celles que nous avons aujourd'hui. Demain, notre présence (militaire) s'inscrira dans le cadre de bases, d'écoles, d'académies qui seront gérées conjointement, fonctionnant toujours avec des personnels français qui resteront mais avec des personnels plus réduits et des personnels africains et qui pourront accueillir - si nos partenaires africains le souhaitent et dans leurs conditions - d'autres partenaires. Conformément aux entretiens que j'ai eus ces dernières semaines avec mes homologues, cette transformation va commencer dans les mois qui viennent, sur le principe de la co-construction, avec une diminution visible de nos troupes, et en même temps qu'une augmentation de nos partenaires africains dans ces bases", dit Emmanuel Macron.
Le discours intervient après la fin de l'opération antiterroriste Barkhane au Sahel et le retrait forcé des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso.
La France déploie encore quelque 3.000 militaires dans la région, notamment au Niger et au Tchad, après y avoir compté jusqu'à 5.500 hommes.
Rien de nouveau selon Niagalé Bagayoko
En réalité, cette annonce concernant la transformation des bases militaires françaises en académies dans le cadre de partenariats militaires opérationnels n'est pas aussi neuve que les autorités françaises, par la voix du président de la République, semblent vouloir le faire croire, soutient Niagalé Bagayoko, présidente du Réseau africain du secteur de la sécurité, contactée par la DW.
"En effet, cette approche, notamment parce qu'elle se réfère à des dispositifs de formation et d'équipement, rappelle véritablement la politique qui a été menée par la France à la fin des années 90 et au début des années 2000, consistant à mettre sur pied ce qui a été appelé des écoles nationales à vocation régionale, ENVR... Ces écoles nationales à vocation régionale accueillent ainsi depuis plus de 20 ans, des élites militaires africaines qui sont formées sur différentes spécialités, qu'il s'agisse de maintien de la paix, comme par exemple au Mali, qu'il s'agisse de l'infanterie comme par exemple à Thiès. Ce sont des dispositifs qui ont depuis la fin des années 90, l'ambition d'africaniser la sécurité. On voit donc très bien que l'on n'est pas véritablement dans de l'innovation", explique la chercheuse.
Etablir le bilan de la coopération militaire
L'experte des questions de sécurité, Niagalé Bagayoko, poursuit : "l'insistance placée tout d'abord sur la formation me paraît problématique dans la mesure où, si le bilan et les leçons tirés de l'opération Barkhane, à travers son succès mitigé ou ses échecs plus évidents, ne fait pas de doute, le bilan de la coopération militaire et de défense lui-même n'est pas véritablement établi. Or, la situation des armées africaines au début de la crise sahélienne aurait appelé une remise en cause de ce dispositif de formation. Or, il n'en a rien été et les concepts notamment véhiculés dans le cadre de ces centres de formation soutenus par la France, démontrent que l'approche française, comme celle d'ailleurs de la plupart des partenaires internationaux, qu'ils soient multilatéraux, qu'ils soient occidentaux ou qu'ils soient russes, cette approche donc incite à faire le constat d'une inadaptation totale des concepts de sécurité importée qui se révèlent absolument inaptes à répondre au type de conflictualité que l'on trouve sur le continent africain".
Le matériel militaire
Niagalé Bagayoko, reagit enfin sur une autre préoccupation, celle des équipements militaires.
Pour la présidente du Réseau africain du secteur de la sécurité, "la question de l'équipement démontre aussi que la question de partenariat en matière d'armement et d'équipement ne prend pas véritablement encore en considération les impératifs de l'environnement. Parce que si la Russie et la Turquie ont beaucoup de succès dans ces domaines-là, c'est précisément parce que les matériels que ces deux pays proposent aux États africains sont beaucoup plus rustiques, beaucoup moins sophistiqués, beaucoup plus faciles à entretenir, voire beaucoup plus adaptés à l'environnement sécuritaire africain que ne le sont les matériels proposés par la France ou par d'autres partenaires occidentaux qui, eux, requièrent énormément de capacités en termes de maintenance notamment".
Le président français est par ailleurs revenu sur le groupe paramilitaire russe Wagner, installé notamment en Centrafrique et au Mali, ce que la junte de Bamako continue de démentir et qui, outre ses activités militaires aux côtés des régimes en place, déploie des campagnes informationnelles dénigrant le rôle de Paris dans ces anciennes colonies.
"C'est un groupe de mercenaires criminels, l'assurance-vie des régimes défaillants ou des putschistes", a dénoncé Emmanuel Macron, évoquant des "comportements de prédation sur les mines, les ressources premières, voire de violences sur les populations, viols et autres".