"La CPI joue sa crédibilité"
21 mai 2024Karim Khan, le procureur général de la Cour pénale internationale réclame l'émission de mandats d'arrêt contre plusieurs responsables de la branche politique et de la branche armée du Hamas, mais aussi contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense, Yoav Galant.
Tous sont suspectés, par le procureur de la CPI, de crimes de guerre et crimes contre l'humanité depuis le 7 octobre dernier - date de l'attaque terroriste du Hamas contre Israël et du début de la riposte israélienne dans la bande de Gaza.
Ces demandes du bureau du procureur de la CPI ont reçu le soutien de plusieurs gouvernements, dont celui de la France, mais aussi des réactions indignées. D'abord de la part des intéressés dans le collimateur de la CPI, ainsi que de plusieurs alliés de l'Etat hébreu tels que les Etats-Unis qui ne comprennent pas que la justice internationale traite de la même façon les représentants de l'exécutif israélien et des terroristes du Hamas palestinien.
Pour mieux comprendre les enjeux de ce débat, écoutez ci-contre l'analyse d'Alhadji Bouba Nouhou, enseignant à l'Université Montaigne de Bordeaux, chercheur associé à l'Institut Montesquieu et spécialiste du conflit israélo-palestinien.
A noter que parmi les réactions internationales, l'Allemagne a déclaré, par la voix d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, que Berlin respecte l’indépendance de la CPI et de ses procédures, mais le gouvernement allemand rappelle qu’on ne peut pas assimiler les actions du Hamas et celles des responsables de l’Etat d’Israël.
Interview avec Alhadji Bouba Nouhou
DW : Cette demande, qui émane du bureau du procureur de la Cour pénale internationale, que soient émis des mandats d'arrêt à l'encontre de trois responsables palestiniens du Hamas, branche armée et branche politique, mais aussi et surtout de deux représentants de l'exécutif israélien, à savoir le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yaov Gallant, a suscité des réactions très variées. Est-ce que vous, cette demande du procureur vous a étonné ?
C'est étonnant pour certains, mais pas pour d'autres dans la mesure où la demande qui a été faite par le procureur précise bien les faits qui ont été reprochés, notamment le fait d'affamer des civils, des faits d'homicides, l'extermination ou des meurtres. L[e bureau du procureur de] la CPI a motivé cette décision.
Ici, en occident, cela [a été diversement apprécié]. Par exemple, la Belgique estime que les crimes à Gaza doivent être poursuivis, quels que soient les auteurs. Mais parallèlement, on voit des pays, par exemple, comme l'Autriche ou même la République tchèque, qui refusent de faire en parallèle entre Israël et le Hamas. Ils pensent qu'israël est un état démocratique et donc responsable de ses actes, que le Hamas serait considéré comme une organisation terroriste.
De l'autre côté, on a des pays qui ne savent pas sur quel pied danser. C'est le cas, par exemple, de la Grande-Bretagne. Londres estime que, finalement, cela ne contribue pas à mettre fin aux combats et à libérer les otages.
C'est pour cela que ces pays qui soutiennent, ou qui ont soutenu Israël jusqu'à présent, se trouvent aussi face à des difficultés. L'Allemagne dit respecter le tribunal, mais refuse de mettre aussi sur le pied d'égalité le Hamas Israël.
DW : La prochaine étape, il y a cette demande du bureau du procureur, qui doit être examinée par trois juges qui vont décider d'émettre ou pas des mandats d'arrêt et ensuite, comme vous le disiez, ce sont les Etats parties du statut de Rome qui seront chargés de les exécuter, c'est-à-dire d'arrêter les personnes visées par ces mandats lorsqu'elles seront sur leur territoire.
Exactement, parce qu'actuellement, il y a 124 Etats membres. Monsieur Netanyahu, ou monsieur Gallant ne peuvent pas aller librement dans ces 124 Etats, sans avoir à répondre de cette question d'arrestation ou sans avoir à réfléchir à deux reprises avant d'aller dans tel ou tel pays.
DW : ... Même si on a vu d'autres personnes qui sont sous le coup de mandat d'arrêt de la CPI - je pense notamment à Vladimir Poutine - continuer à voyager dans certains Etats étrangers sans être arrêtés.
Oui, sans être arrêtés, mais on a vu aussi que lors de la réunion des BRICS en Afrique du sud, finalement, Vladimir Poutine ne s'est pas rendu en Afrique du sud. On voit très bien que, même s'il n'y a pas d'application stricte, ça met quand même les diplomaties de ces Etats-là en difficulté.
DW: Est-ce qu'on pourrait imaginer qu'effectivement des mandats d'arrêt soient émis, qu'effectivement ces personnes soient arrêtées, et notamment que ces responsables politiques israéliens soient jugés par la Cour pénale internationale ? Même si Israël dispose d'une justice performante et indépendante sur le papier ?
Oui, mais cette question a été déjà posée par par les Africains, au moment où la Cour pénale internationale avait émis plusieurs mandats d'arrêt contre des dirigeants africains, à savoir : est-ce que ces dirigeants-là doivent se rendre et être jugés par la Cour ou doivent-ils être jugés par leur propre cour de justice?
Monsieur Gbagbo avait été jugé par le tribunal de la CPI, mais d'autres présidents n'ont pas été déférés devant la Cour. C'est le cas, par exemple, l'ancien président soudanais el-Béchir, et c'est aussi le cas de l'ancien président du Kenya, qui a été convoqué mais finalement, il n'a pas été inculpé.
Il y a eu des cas à tel point que, à un moment donné, les Africains pensaient que cette Cour n'était faite que pour les Africains.
La CPI est en train de jouer son avenir, c'est-à-dire sa crédibilité. Cette demande demande, si elle est appliquée, va réhausser la crédibilité de la Cour, elle va démontrer qu'elle est impartiale contrairement à ce que les Africains ont pu dire jusqu'à présent.
Mais si les demandes [du procureur] n'aboutissent pas, si on revient à la case départ et que, finalement, ce sont les mêmes qui sont traînés devant la justice, alors dans ce cas là, je pense que l'ordre international a du souci à se faire.