La voix de l'Allemagne, peu audible au Proche-Orient
24 octobre 2024Paris accueillait aujourd'hui [24.10.24] la conférence des donateurs pour le Liban. Celle-ci a permis de récolter plus de 800 millions de dollars d'aide humanitaire, soit un peu plus de 740 millions d'euros, ainsi que 185 millions d'euros en soutien à l'armée libanaise.
Hier, la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, a effectué un déplacement éclair à Beyrouth. La ministre a de nouveau mis en garde contre une escalade de la violence au Proche-Orient et annoncé une aide supplémentaire de 96 millions d'euros pour les Libanais. Mais le soutien militaire de l'Allemagne à Israël est très critiqué au Liban.
L'appel de l'Onu à un cessez-le-feu
A Paris, Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a fait part en français, de son inquiétude dans une intervention vidéo :
"Nous constatons la poursuite d'intenses bombardements aériens par Israël sur des zones densément peuplées du Liban - y compris Beyrouth - et des incursions terrestres au-delà de la Ligne bleue ... ainsi que la poursuite des attaques de missiles, de drones et de roquettes par le Hezbollah sur Israël. Un cessez-le-feu immédiat est nécessaire, ainsi que des mesures significatives en vue d'une mise en œuvre complète des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité".
Depuis plus d’un mois maintenant, Israël bombarde quotidiennement le Liban. D’après les autorités libanaises, plus d’un million de personnes auraient fui et ces raids aériens auraient tué plus de 2.000 civils.
L’armée israélienne vise des positions du Hezbollah, une milice chiite qualifiée de groupe terroriste par les Etats-Unis et l’Allemagne notamment. L’Union européenne considère aussi la branche armée du mouvement, soutenu par l’Iran, comme terroriste. Le Hezbollah a envoyé des dizaines de milliers de missiles sur la Galilée, dans le nord d’Israël, depuis le début de la guerre à Gaza, en soutien au Hamas palestinien.
Un "soutien d'urgence" pour les Libanais
La conférence de Paris avait pour but de rassembler des dons pour le Liban et de trouver une issue pacifique au conflit. La France entretient des rapports diplomatiques étroits avec le Liban qui est un ancien protectorat français.
La politologue May Maalouf Monneau, de l’Institut de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (iReMMO), à Paris, estime au micro de la DW que les Libanais ont besoin avant tout d’un accord de cessez-le-feu pour que l’armée nationale puisse se redéployer dans le sud du pays et y restaurer l’autorité de l’Etat. "Cela aurait dû avoir lieu depuis longtemps, en vertu de la résolution onusienne 1701 de 2006", ajoute-t-elle.
Lors de la conférence, le Premier ministre libanais, Najib Mikati, a appelé lui aussi à un cessez-le-feu immédiat :
"Le Liban appelle la communauté internationale à s'unir et à soutenir les efforts visant à mettre fin aux agressions en cours et à imposer un cessez-le-feu immédiat. Deuxièmement, l'aide humanitaire et le soutien d'urgence. La guerre a déstabilisé les conditions de vie, augmentant le besoin d'aide humanitaire. L'aide financière internationale est nécessaire pour fournir des services de base tels que la nourriture, les soins de santé, les abris et l'éducation."
Pour le chercheur Fabrice Balanche, géographe spécialiste du Proche-Orient à l’Université Lyon 2, le récent appel d’Emmanuel Macron à cesser les livraisons d’armes à Israël et les mauvaises relations actuelles entre la France et l’Etat hébreu avait toutefois, déjà en amont, amenuisé l’espoir de voir la conférence de Paris améliorer vraiment la situation sur le terrain.
Emmanuel Macron a rappelé l’a nécessité d’une "aide massive (…) pour la population libanaise, tant pour les centaines de milliers de personnes déplacées par la guerre que pour les communautés qui les accueillent". Le président français s’est félicité du soutien financier des donateurs pour le Liban :
"Les Nations unies ont lancé un appel de 426 millions d'euros. La France apportera 100 millions d'euros lors de cette conférence. Il faut abriter les familles, nourrir les enfants, soigner les blessés et continuer à scolariser les élèves. Des solutions doivent être trouvées plus rapidement, car il est essentiel que le déplacement des populations du sud vers Beyrouth et d'autres régions du Liban ne crée pas de nouvelles divisions entre les Libanais."
96 millions d'euros de la part de l'Allemagne
L'Allemagne aussi promet d'augmenter son aide au Liban de manière conséquente. Le ministère de la Coopération met 60 millions d'euros sur la table et le ministère des Affaires étrangères 36 millions.
"L'Allemagne va débloquer 96 millions d'euros supplémentaires en aide humanitaire et en aide au développement pour les habitants du Liban, a déclaré Annalena Baerbock. Nous insistons sur le fait que nous ne nous bornons pas simplement à regarder la souffrance au Liban, ces derniers jours ; nous agissons. Nous soutenons la population qui, dans sa grande majorité, ne veut qu'une chose : un avenir sûr et une vie en paix, la même chose que ce à quoi aspirent aussi de nombreuses personnes en Israël."
L'aide allemande doit être acheminée sur place par le biais des agences de l'Onu comme le Programme alimentaire mondial et des ONG comme la Croix rouge allemande.
Des critiques au Liban
Mais les réactions sont critiques au Liban. Au lendemain de la visite d'Annalena Baerbock sur place, la presse reproche à l'Allemagne de s'aligner sur la politique américaine, et surtout de souffler le chaud et le froid, en envoyant de l'aide humanitaire aux Libanais, tout en continuant de livrer des armes à Israël.
Après Washington, l'Allemagne est le deuxième livreur d'armes à l'Etat hébreu. Et Berlin, toujours marqué par les horreurs du nazisme, qualifie de "raison d'Etat" le droit d'Israël à se défendre ((contre les attaques comme celles du Hamas, le 7 octobre 2023, ou les tirs de roquettes du Hezbollah.
Selon le magazine Foreign Policy et le groupe de réflexion américain Stimson Center, son soutien indéfectible à Israël a rendu la parole allemande peu audible au Proche-Orient.
Le directeur du département international de l'ONG catholique Caritas Allemagne, Oliver Müller, demande quant à lui la fin des bombardements israéliens. "Cette action fait de nombreuses victimes innocentes et non impliquées. Cela doit cesser, tout comme la menace persistante pour les travailleurs humanitaires d'être victimes d'attaques militaires".
Ni l’Iran ni Israël, deux acteurs pourtant essentiels du conflit au Proche-Orient, n’étaient représentés à la conférence des donateurs pour le Liban. Le chef de la diplomatie américaine n’a pas non plus fait le déplacement à Paris.